samedi 24 janvier 2009

La Musique du Temps (1)




Sollers écrivain, qui en douterait ? Cela se vérifie une nouvelle fois aujourd'hui, dans l'allégresse rayonnante des " Voyageurs du Temps " (1)
Sollers écrivain du beau ? C'est une évidence ! Lisons Roland Barthes :
"... Un jour, je disais de quelque texte qu'il était beau. On se récria : comment peut-on être moderne et parler de beauté ! Notre vocabulaire est si limité (précisément là où les nouveautés surabondent) qu'il faut bien accepter que les mots tournent et reviennent. Je pars des choses et je donne des noms, même usés. Je m'entête donc, et je dis du livre de Sollers qu'il est beau...." (2)

Sollers romancier ? Ouvrons les yeux et les oreilles ! Accordons nous à l'Instant, et au Temps, coulons-nous dans le mouvement permanent du Verbe. Il s'agit d'une écoute très poussée de l'écriture, il faut être un peu musicien pour lire ce qu'écrit le bordelais trapéziste.
Il faut croire d'évidence que certains livres délivrent et que le Verbe sauve, ou l'inverse, c'est comme l'on veut.
Il faut de toute urgence retrouver la saveur du savoir romanesque, et le savoir savoureux du roman.
Questions :
Mais que raconte donc ce roman là ?
Que dit-il de l'art du roman ?
Du monde ?
De de la joie ?
De la musique ?
De la Peinture ?
De la poésie ?
Des histoires qui deviennent de l'Histoire ?
De l'absolue nécessité d'écrire ?
De la Félicité ?
De la Gnose ?
Mais de quoi s'agit-il ?
Quel est ce temps romanesque que traverse ce roman là ?
Réponses :
" Bienheureux celui qui est avant d'avoir été. Car celui qui est a été et sera. " Peut-on trouver meilleure définition dans la bouche de Philippe, du roman de Sollers, qui a bien raison de le placer sous son regard éclairant.
" Tout va très vite, maintenant, en plein dans la cible. Plus de temps mort, pas un moment perdu, enveloppement, lucidité, repos et vertige. Soleil nouveau chaque jour, bleu, gris, froid, chaud, pluie, vent, c'est pareil, mais derrière, à chaque instant, la lumière fait signe. " (1) C'est ainsi que s'ouvre ce roman. On pourrait, gagné par le silence des déesses s'en contenter : trois phrases accordées à la vie, à la musique, et à la nature !
Le narrateur écoute et voit, dans une solitude effervescente : " Comme, une fois de plus, je suis merveilleusement seul et qu'une grande étrangeté me gouverne, je vais faire un tour dans le jardin d'à côté. Je me branche sur ondes mentales ultra-courtes, j'ai besoin de visions, de sons. " C'est un oeil, une oreille, une bouche, une peau, un romancier éclairé. Il s'adonne en silence au tir de précision - le roman peut-être être autre chose ? - dans un Centre secret qui communique mentalement avec un autre Centre de tir, littéraire celui-là, une maison d'édition, qui transforme les manuscrits en or, cette maison édite l'auteur-narrateur, il y occupe une place essentielle, et sur le "plafond" luxuriant de sa tour parfumée, note à la plume d'argent les noms des auteurs qu'il édite. L'Infini, est ce Centre de Tir, placé depuis longtemps dans le viseur des "parasites" diaboliques.
Vérifications choisies et ordonnées :
Louis Althusser - Frédéric Berthet - Amélie de Bourbon Parme - Béatrice Commengé - Marcel Detienne - Alain Fleischer - Philippe Forest - Cécile Guilbert - Pierre Guyotat - Yannick Haenel - Martin Heidegger - Alain Jaubert - Julia Kristeva - François Meyronnis - Catherine Millot - David di Nota - Marcelin Pleynet - Thomas A. Ravier - Valentin Retz - Jacqueline Risset - Dominique Rolin - Clément Rosset - Jean-Jacques Schuhl - Bernard Sichère - Bernard Teyssèdre - Chantal Thomas - Stéphane Zagdanski - c'est ce que l'on pourrait appeler les noms de la pensée et de la littérature d'aujourd'hui, d'hier et de demain, il n'est pas interdit de lire leurs livres, seule condition, bien s'accorder au Temps, et à l'Instant mobile : " Mon occupation ici ? Tout sauf du travail, un grand jeu à travers la mémoire et l'archive. Je traite mon sujet, à savoir qu'il n'y en a qu'un, sous tous les noms et à travers eux. C'est une grande partie d'échecs, très violente. Son titre ? Ce pourrait être Le Combat spirituel, mais seules quatre ou cinq personnes comprendraient. Inutile de préciser que je ne m'occupe pas des publications du jour, de l'actualité, des débats sociologiques, politiques, idéologiques, c'est-à-dire de la falsification fiévreuse. Les tirages, nécessaires au fonctionnement, me sont indifférents, mais je les accueille avec joie puisqu'ils aident les arbres. " (1) Les livres sauvent les arbres et les font s'élever, personne n'ose le dire, alors que tant et tant de livres n'en sont que leur bûcher !

Il convient à cet instant de faire une pose musicale : les Partitas de Bach par Glenn Gould (enregistrements de 1959 - 1962 )voyez les bleus, les rouges, les gris, les noirs, les blancs, sentez la palpitation de votre oreille qui s'envole dans ce sous-bois qui s'adosse aux Monts de Vaucluse.

Poursuivons : le narrateur-écrivain-tireur-éditeur, traverse Paris, rien à voir, vous pouvez le comprendre avec Paris-Plage, Paris-Servitude-Volontaire, Paris-Olympique, Paris-Bavardages, Paris-Art, Paris-Surdité, Paris-Aveuglement, Paris-Prix-Littéraires, Paris-Vengeance, Paris-Douleur, Paris-Etc-Etc-Etc. et retrouve ses " voyageurs du temps " : " Les livres sont-ils des armes, des messes, des sermons, des lits ? On peut l'imaginer, et ce ne sont pas les volumes des grands vivants locaux qui diront le contraire. Le temps se perd, se retourne, nous irons au bout de la nuit, et le papier bible conserve les traces, comme les manuscrits découverts à Qumrâm, après la Seconde Guerre mondiale, ou ceux de toute une bibliothèque gnostique exhumée par hasard par des paysans, un peu plus tôt, en Egypte, à Nag Hammadi. Des voyageurs du temps ont pris des précautions, ils ont enterré leurs messages pour plus tard ou jamais, essayez de les voir creuser et déposer ces paquets. Les corps disparaissent, les écrits restent, c'est la musique du ciel en enfer. " (1). L'éditeur-écrivain-tireur-narrateur invite ces " voyageurs du temps ", et ils sont là, ils n'ont pas pris une ride, légers, attentifs, vifs, les yeux dans les floraisons du temps, et sur l'écrit, dans l'Instant libéré de toutes les obscénités bien rodées, ils sont le temps du Verbe. Ce roman est leur histoire traversée par la flêche invisible de l'écrivain-narrateur-éditeur-tireur.

Musique et Verbe, Verbe et Musique, Pensée active et position du tireur debout dans la tempête.






à suivre

Philippe Chauché


(1) Les Voyageurs du Temps / Philippe Sollers / Gallimard
(2) Sollers écrivain / Par-dessus l'épaule (1973) à propos de "H" / Roland Barthes / Seuil

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