" Primo Levi a soif. Une congère s'est formée au bord d'une fenêtre. Il sort du baraquement, veut casser le morceau de glace pour étancher sa soif. Un kapo allemand l'interrompt. " Pourquoi ? " demande Primo Levi. Hier ist kein warum, répond le nazi ( " Ici, il n'y a pas de pourquoi. ").
La réponse nazi vaut pour l'ensemble du camp. Le sans-pourquoi est le mot d'ordre d'un monde où aucune autre expérience n'est possible que la dévastation.
Mais le sans-pourquoi est aussi, plus secrètement, le nom de ce qui brille dans les ténèbres. Un mystique du XVII° siècle, Angelus Silesius, écrit : " La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu'elle fleurit. "
Aucune causalité ne détermine la floraison de la rose ; elle existe pour rien, et cette libre gratuité coïncide avec la poésie elle-même. Le sans-pourquoi désigne ici le contraire de l'arbitraire nazi ; il est le nom de ce qui résiste à l'emprise. " (1)
J'aime à penser, se dit-il, qu'il en va de même de la peinture de Watteau, le sans-pourquoi de l'art absolu, comme il en va parfois de l'amour, le sans-pourquoi de la jouissance est une arme qui sape à jamais toute forme de domination, les heureux amants et les fées le savent.
" Je n'ai pas écrit parce que j'étais fatigué et je suis resté couché sur le canapé dans la chambre chaude, puis froide, avec des jambes malades et des rêves dégoûtants. Un chien était couché sur moi, une patte tout près de mon visage, cela m'a réveillé, mais pendant un bon moment encore, j'ai eu peur d'ouvrir les yeux et de le regarder. " (2)
Seules quelques fées vous sauvent non de l'ennuie, mais de son rêve.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Prélude à la délivrance / Yannick Haenel François Meyronnis / L'Infini / Gallimard
(2) Journal de Kafka / 13 décembre 1911 / traduct. Marthe Robert / Grasset
"Prélude à la délivrance"... Mais de quoi M.M. Haenis et Meyronnel veulent-ils nous délivrer ?
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