lundi 17 janvier 2011

Ainsi va le Temps (45)



Il se dit parfois que les plus beaux cadeaux devraient être empoisonnés, ainsi offrir servirait à quelque chose, et d'évidence n'entraînerait aucune suite. Un cadeau empoisonné puis plus rien. Un soupçon de détestation, un effacement frénétique des contacts d'un téléphone de poche, une radiation définitive de la longue liste de ceux que l'on doit inviter pour un anniversaire, un mariage civil, un réveillon ou une sortie en voilier au large du Cap Corse.


Voilà un livre empoisonné, et donc réjouissant. A offrir, pense-t-il, aux charmants couples heureux et dociles qui ne manquent pas de penser à lui pour les aider à compléter leurs amusantes soirées musicales, à condition toutefois qu'il ne boive pas trop, qu'il ne s'endorme pas minuit venu, ou qu'il accepte de bonne grâce les avances d'une toute nouvelle divorcées de leurs amies, il fera l'effet d'une bombe à retardement, et ses dégâts, ne manqueront pas de l'amuser.


Ce livre est un condensé de vitriol, et personne n'ignore que le vitriol est du plus bel effet sur les couples, il fait apparaître par miracle toutes les détestations enfouies, les reproches ravalés et les mensonges qui sont les ex-voto des amoureux trahis mais fidèles.
Un livre fumant et brûlant d'où sortent anéantis les petits couples modernes et adeptes du blabla et du chichi. Un éclat de rire salutaire et définitif.

Lisons avant de l'offrir, dès les premières lignes, le ton est donné, c'est un roman à l'eau seconde :
" Le soleil ne s'était pas montré ce jour-là. Le soir tombait, le pluie faisait du bruit sur la tente du Père Tranquille, café des Halles, un quartier de Paris, vieille ville européenne que certains habitants du sud des Etats-Unis confondent avec Paris Texas.
Quand il est arrivé, elle a rompu.
- Je veux faire un break.
Elle tenait une tasse dans sa main. Le thé ne reflétait rien, même pas le rouge des convecteurs qui chauffaient la terrasse.
- Il faut que tu disparaisses. " (1)
Mais aussi :
" Il s'est versé un whisky au salon. Il l'a bu sur le balcon. La lune était pleine, veinée de marbre. Au Moyen Âge les sorcières écrivaient à la lune, dommage que ce genre de correspondance soit tombé en désuétude. Avec une lampe, il aurait pu parler en morse à l'univers. Il n'aurait jamais vécu assez vieux pour recevoir une réponse, mais suffisamment pour perdre la raison. " (1)
Et plus loin :
" - Le sexe est un problème dont je viendrai à bout.
- On pourrait faire l'amour ?
Elle a pointé le joint dans sa direction.
- Tu es trop sexuel.
Elle l'a écrasé comme un petit bout de pénis auquel elle aurait voulu river son clou.
- Vraiment, trop sexuel.
- Oui, comme tes sex-toys.
- La masturbation est moins sexuelle que le sexe. Elle n'est pas sexuelle. C'est une réflexion. " (1)
Ou encore :
" Marjorie a jeté un coup d'oeil sur Tibère.
- Cache ta bite.
Le caleçon la dissimulait pourtant de son mieux. Il est vrai que l'érection persistait depuis tout à l'heure et trahissait la présence de l'organe sous le coton bleu.
- Tu peux que je la coupe ?
- Pour tout dire, je m'en passerai. C'est anormal d'avoir une bite.
- Tout le monde en a.
- Pas moi. Les femmes n'en ont jamais eu. Regarde un corps de femme, comme c'est harmonieux, rigoureux, logique.
Tibère a souri, l'érection est tombée. " (1)
Ce livre s'ouvre et se ferme sur la guerre sexuelle dans un long éclat de rire, il y a Marjorie, Tibère et Volvic, un ministre flasque et vieillissant, figure d'un autre entrevue ici et là, un sac de riz sur le dos par exemple, et tout se percute, comme dans une fête foraine, les couples explosent en vol tout en restant au ras de l'asphalte.
Ce livre est une bombe qui ne tarde pas à exploser dans le bavardage permanent de ces humanoïdes terrifiants qui affichent leur détestation comme d'autres leur légion d'honneur.


à suivre

Philippe Chauché

(1) Tibère et Marjorie / Régis Jauffret / Seuil

1 commentaire:

  1. Pas lu Jauffret mais entendu lui dans le poste disant des choses plutôt intéressantes et vaguement suivi ses démêlés judiciaires.

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