« En l’absence de son père et ignorant des secrets, Blaise trace ses triangles et ses cercles à la craie sur le sol, assis pendant des heures sur le carrelage de la salle à manger devenu pour lui une immense ardoise de calcul ».
Cette jeunesse est le roman d’un génie, l’enfance romanesque d’une aventure qui va transformer le monde, ou, pour le moins, le regard que ses contemporains et leurs descendants vont porter sur lui. Ce roman est celui de l’enfance d’une pensée en mouvement – un trait continu (…) efficace et incontestable – qui va très vite sauter aux yeux de son père et de ses amis mathématiciens. Cette jeunesse est l’enfance d’un mouvement, le geste ample de Blaise Pascal, qu’éclairent les phrases souples, vives et élégantes de Marc Pautrel. Cette jeunesse est aussi celle de l’absence, de la perte, d’un trouble profond, Baise Pascal ne cessera de se demander où se trouve sa mère, pourquoi est-elle morte, quel mal l’a traversée et terrassée, pourquoi n’était-il pas là pour la sauver. Cette douleur habitera sa jeunesse, comme celles qui ne cesseront de l’assaillir, jusqu’à la dernière qui fécondera ses Pensées.
« Parce qu’il a lui-même un corps en lambeaux, qui certains jours le porte et d’autres jours l’entrave, Pascal pense que tous ceux qu’il côtoie sont dotés d’une force supérieure et sont indestructibles ».
Le jeune Blaise Pascal dessine, il projette ses cercles, ses droites et ses angles dans un siècle qui l’attendait. Il conçoit et fait fabriquer la pascaline, sa machine arithmétique qui a libéré son père du poids des calculs quotidiens. Il expérimente et fait expérimenter ses théories, le vide le passionne, il ne cesse de vérifier ses gestes d’enfant surdoué, de prouver qu’il est un génie, et son nom résonnera de mille éclats dans les bulletins de la météo marine, de pascal en hectopascal – son nom devient alors aventure marine. De mathématicien il se fera philosophe, penseur, écrivain, maître de sa langue, celle du 17° siècle, il fixa la langue que parlèrent Bossuet et Racine*.
« Les flammes lui ouvriront la voie, des formes particulières de lumière, un brasier délicieux envahira son être, et pendant deux heures qui sembleront deux ans ce feu habitera son crâne ».
Cette jeunesse est un roman qui met à nu les secrets du mathématicien et du moraliste, comme il l’avait fait avec Ozu, Marc Pautrel s’y livre ici avec justesse, finesse et précision. Il dessine ce visage, ces mains, ce corps, ces pensées en ébullition avec cet art du trait et de l’esquisse, l’art du trait est ici l’art du roman. Les faits commandent la plume. Les faits et les situations font de cette jeunesse un roman de l’épure, de la vision, de la passion et de la langue. Elle va jaillir dans son infaillibilité avec l’accident que l’on connaît, cette suspension dans l’espace, pendu par les pieds Blaise Pascal est saisi par une autre révolution – un Feu –, elle ne sera pas mathématique cette fois, mais théologique et philosophique, et sa portée sera tout aussi exceptionnelle.
« Pascal écrit, il note à grande vitesse tout ce qu’il vient de voir, très exactement ce qu’il a vécu, les versets de la Bible, Feu, la langue vivante, le fleuve des mots français, éternellement en joie pour un jour d’exercice sur la terre, il n’y a rien d’autre à ajouter ».
Philippe Chauché
* François-René de Chateaubriand
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