vendredi 17 octobre 2008

Le Miracle de l'Acteur




" C'est à vous que je parle, hommes des antipodes,
je parle d'homme à homme,
avec le peu en moi qui demeure de l'homme,
avec le peu de voix qui me reste au gosier,
mon sang est sur les routes, puisse-t-il, puisse-t-il
ne pas crier vengeance !
L'hallali est donné, les bêtes sont traquées,
laisez-moi vous parler avec ces mêmes mots
que nous eûmes en partage -
il reste peu d'intelligibles !

Un jour viendra, c'est sûr, de la soif apaisée,
nous serons au-delà du souvenir, de la mort
aura parachevé les travaux de la haine,
je serai un bouquet d'orties sous vos pieds,
- alors, eh bien, sachez que j'avais un visage
comme vous. Une bouche qui priait, comme vous.

Quand une poussière entrait, ou bien un songe,
dans l'oeil, cet oeil pleurait un peu de sel.
Et quand une épine mauvaise égratignait ma peau,
il y coulait un sang aussi rouge que le vôtre !
Certes, tout comme vous j'étais cruel, j'avais
soif de tendresse, de puissance,
d'or, de plaisir et de douleur.
Tout comme vous j'étais méchant et angoissé
solide dans la paix, ivre dans la victoire,
et titubant, hagard, à l'heure de l'échec ! " (1)

Voilà comment cela s'écrit, voyez comment cela se joue. Là devant nous, le miracle de l'acteur, retenez son nom, c'est un roman : Alain Cesco-Resia (2).Voyez le silence de ses mains qui dessinent sur quelques centimètres l'espace du poème, écoutez son regard des hauteurs, cet homme est un oiseau des hautes mers, admirable. C'est un torero qui affronte droit la charge terrible de la scène, les pieds sur la scène dans le sable noir, la tête dans l'élévation du poème, théâtre du courage, courage du verbe porté comme une offrande, admirable acteur, acteur de la transcendance, de la statuaire, de la nuance, de la grâce, du verbe mouliné dans une bouche de création. Ecoutez cette parole et comme elle est offerte, tremblez hommes de peu de foi devant le miracle du verbe. A l'origine était l'acteur, et l'acteur fonda la vie.



" Un jour viendra, sans doute, quand le poème lu
se trouvera devant nos yeux. Il ne demande rien !
Oubliez-le, oubliez-le ! Ce n'est qu'un cri,
qu'on ne peut pas mettre dans un poème parfait,
avais-je donc le temps de le finir ?
Mais quand vous foulerez ce bouquet d'orties
qui avaient été moi, dans un autre siècle,
en une histoire qui vous sera périmée,
souvenez-vous seulement que j'étais innocent
et que, tout comme vous, mortels de ce jour-là,
j'avais eu, moi aussi, un visage marqué
par la colère, par la pitié et la joie,

un visage d'homme, tout simplement. " (1)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Benjamin Fondane / Le Mal des fantômes / Verdier
(2) Titanic - Le mal des fantômes / Alain Cesco-Resia / Théâtre des Halles d'Avignon / avec l'admirable complicité d'Alain Timar

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