mardi 18 novembre 2008

L'Etirement du temps



- C'est à se demander où vous voulez en venir ?
- Voyez-vous chère amie, je viens de nulle part, et m'emploie à y retourner.
- C'est l'opposé de ce que vous écrivez !
- Oh, vous savez ce que j'écris passe, s'envole, repasse, et lasse !
- Vous ne croyez donc en rien ?
- Si, en ce moment je crois dans ce que je vis là, dans ce que je vois, et cela me suffit. Je crois dans cet étirement du temps... cette permanence du corps, du votre, et du mien... je crois non seulement dans cet étirement du temps, mais aussi dans ces manières qui font de vous une belle personne, j'entends par là, vos manières de parler, de regarder, et de jouir. Qui douterait que cela ne fût pas la même chose.
- La formule est jolie, mais vous le savez, cet étirement du temps, comme vous l'appelez, ne suffit pas, en tout cas, je ne peux seulement m'en contenter.
- Mais personne ne dit cela, je me contente de vous parler de ce que nous vivons maintenant, pour le reste, ce qui adviendra, qui pourra advenir, que sais-je, pour le reste, nous avons quelques heures devant nous pour grandement nous y intéresser.
- Mais je ne viens pas seulement vous voir, pour ça !
- Belle remarque, je la fais mienne, je vous accueille pour tout autre chose, mais patiente, silence et lecture, voilà le programme :

" Guillaume de Machaut rapporte qu'il embrassait Péronne de la base de son cou jusqu'aux boutons de ses seins disant :
- Et j'étais comme l'homme nu qui se baignait jadis
En fleuve paradis.

Le paradis a été longtemps conçu comme le lieu d'où sortent les rivières en tant que fleuves.
Source des grottes.
Vulve des groupes.
Saint Noé disait : Il n'y a pas de paradis qu'il ne soit sur le bord d'une rivière qui ne mène à la mer. (1)

Voyez-vous ce que nous lisons là à l'instant ouvre un autre temps, que vous réclamiez avant que nous ne nous lancions dans ce voyage, sur le champ l'étirement du temps se transforme et se nourrit même de ce qui s'ouvre sous nos yeux, autres temps :



" - Vous êtes un acteur, me dit-elle. Au vrai sens du terme, bien entendu. Je ne m'étonne pas que les gens aient peur de vous, par moments.
- Je sais : il m'arrive de me faire peur à moi-même. Surtout si celui ou celle d'en face réagit en conséquence. J'ignore où il faut s'arrêter. Nulle part, je pense. Le mauvais, le laid, le mal n'existeraient plus, si nous nous laissions réellement aller. Mais quant à pénétrer les gens de cette idée, c'est une autre affaire ! En tout cas, c'est cela, la différence entre monde de l'imagination et celui du sens commun - qui n'a rien à voir avec commun, et qui n'est qu'enculage et insanité. Il suffit de s'arrêter net et de regarder les choses... regarder, je dis bien, et non penser, critiquer... pour que le monde ait l'air d'une parfaite loufoquerie. Et par Dieu, il est braque ! Aussi louf en temps normal, en temps de paix, qu'en temps de guerre ou de révolution. Fléaux de ce monde et panacée relèvent de la même folie. Pour la raison que l'on nous mène comme des chiens, à coups de fouets. Nous fuyons, fuyons... quoi ? Nous n'en savons rien. Nous fuyons la chose sans nom, un million de choses sans nom ! Une vraie débâcle, une vraie panique. Sans un dernier asile où nous réfugier... sauf si, comme le disais, on s'arrête net, pile. Si on arrive sans perdre l'équilibre, sans se laisser emporter par la ruée, peut-être alors a-t-on une chance de se ressaisir... d'agir, si vous voyez ce que je veux dire. Vous voyez bien où je veux en venir... Du matin où on ouvre un oeil, jusqu'au moment de se mettre au lit, tout n'est que mensonge, frime, escroquerie. Tout le monde le sait, et chacun s'emploie de son mieux à perpétuer cette sale blague. C'est pour cela que nous nous regardons avec tant de foutu dégoût les uns des autres. Pour cela qu'il est facile de fabriquer de toutes pièces une guerre, un pogrome, une croisade contre le vice, n'importe quelle saleté que l'on veut. C'est tellement plus facile, toujours, de céder, d'aplatir la gueule à un type ; au fond, tout ce que nous demandons dans nos prières, c'est d'être refaits, mais refaits proprement et sans retour. Si nous avions encore la force de croire en un Dieu, ce serait un Dieu de Vengeance. Et c'est de tout coeur que nous lui ferions confiance pour le coup de balai final. Il est trop tard pour que nous prétendions nous-mêmes nettoyer le gâchis. Nous pataugeons dedans jusqu'aux yeux. Nous n'avons que faire d'un nouveau monde. Ce que nous voudrions, c'est qu'on mît fin au gâchis qui est notre oeuvre. A seize ans, on peut croire en un monde nouveau... en quoi est-ce que l'on ne croit pas, en fait ? Mais à vingt ans on est condamné, et on le sait. A vingt ans, on est tenu bien en mains, et le plus qu'on puisse espérer, c'est de s'en tirer avec ses deux jambes et ses deux bras indemnes. Ce n'est pas que l'espoir se fane et passe peu à peu... les gens continuent à espérer jusqu'à leur lit de mort. L'espoir est un signe funeste ; symbole d'impuissance. Le courage n'est pas plus utile : le courage est à la portée de tous - pour ce qu'il ne faut pas. Le mot juste me manque... à moins que je n'emploie un terme comme vision. Et par là je n'entends pas l'image projetée de l'avenir, de Dieu sait quel idéal inventé et devenu réalité. J'entends quelque chose de plus flexible, de plus constant - une sorte de sur-vue permanente... de troisième oeil. Nous avons eu cela autrefois. Il a existé une sorte de clairvoyance, naturelle et commune à tous les hommes. Puis vint l'intelligence
; et cet oeil qui nous permettait de voir la totalité, et autour de la totalité, et par delà, le cerveau l'a absorbé ; et notre conscience du monde, celle que nous avions les uns des autres, a emprunté de nouvelles voies. Alors fleurit partout notre cher petit moi ; alors vint au moi la conscience de soi, et avec elle la suffisance, l'arrogance, l'aveuglement, une cécité comme on n'en avait jamais encore vu... non, pas même chez les aveugles...
- Où allez-vous chercher ces idées ? me demanda soudain Rebecca. Ou bien est-ce que ça vous vient comme ça, l'inspiration du moment ? Attendez une minute... il y a une chose que je voudrais vous dire. Ces pensées qui vous viennent, est-ce qu'il vous arrive de les jeter sur le papier ? Et au fait... de quoi est-il question, dans ce que vous écrivez ? Vous ne m'avais rien montré. Je n'ai pas la moindre idée de ce que vous faites.
- Oh, quant à ça, dis-je, il vaut autant que vous n'ayez rien lu... " (2)

Il nous reste à vérifier d'autres liaisons, d'autres combinaisons, d'autres transmutations, mais convenez-en c'est une autre histoire.

à suivre

Philippe Chauché

(1)Le bois sacré / Pascal Quignard / Les Paradisiaques / Grasset
(2)Henry Miller / La crucifixion en rose / Sexus / traduc. Georges Belmont / Buchet/Chastel

1 commentaire:

  1. "Toute la création est fiction et illusion. La matière est une illusion pour la pensée ; la pensée est une illusion pour l'intuition ; l'intuition est une illusion pour l'idée pure ; l'idée pure est une illusion pour l'être. Dieu est le mensonge suprême." Fernando Pessoa. Extrait de Traité de la négation.

    Que reste t'il donc de vrai ? Mais, la jouissance à l'état pur de l'instant présent, effectivement ! A renouveler sans cesse, et ce, jusqu'à ce que mort s'en suive. M.

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