lundi 8 décembre 2008
Eclats d'Hiver
" Le pouvoir d'incantation ( Rien de moins, le mot incantation doit être pris au pied de la lettre. Pour moi le monde extérieur composait à tout instant avec son monde qui, mieux même, sur lui faisait grille : sur mon parcours quotidien à la lisière d'une ville qui était Nantes, s'instauraient avec le sien, ailleurs, de fulgurantes correspondances. Un angle de villas, leur avancée de jardins je les " reconnaissais " comme par son oeil, des créatures apparemment bien vivantes une seconde plus tôt glissaient tout à coup dans son sillage, etc. (N. de l'aut., 1962) que Rimbaud exerça sur moi vers 1915 et qui, depuis lors, s'est quintessencié en de rares poèmes tels que Dévotion est sans doute, à cette époque, ce qui m'a valu, un jour où je me promenais seul sous une pluie battante, de rencontrer une jeune fille la première à m'adresser la parole, qui, sans préambule, comme nous faisions quelques pas, s'offrit à me réciter un des poèmes qu'elle préférait : Le Dormeur du Val. C'était si inattendu, si peu de saison. Tout récemment encore, comme un dimanche, avec un ami, je m'étais rendu au " marché aux puces " de Saint-Ouen (j'y suis souvent, en quête de ces objets qu'on ne trouve nulle part ailleurs, démodés, fragmentés, inutilisables, presque incompréhensibles, pervers enfin au sens où je l'entends et où je l'aime, comme par exemple cette sorte de demi-cylindre blanc irrégulier, verni, présentant des reliefs et des dépressions sans signification pour moi, strié d'horizontales et de verticales rouges et vertes, précieusement contenu dans un écrin, sous une devise en langue italienne, que j'ai ramené chez moi et dont à bien l'examiner j'ai fini par admettre qu'il ne correspond qu'à la statistique, établie en trois dimensions, de la population d'une ville de telle à telle année, ce qui pour cela ne me le rend pas plus lisible), notre attention s'est portée simultanément sur un exemplaire très frais des Oeuvres Complètes de Rimbaud, perdu dans un très mince étalage de chiffons, de photographies jaunies du siècle dernier, de livres sans valeur et de cuillers en fer. Bien m'en prend de le feuilleter, le temps d'y découvrir deux feuillets intercalés : l'un copie à la machine d'un poème de forme libre, l'autre notation au crayon de réflexions de Nietzsche. Mais celle qui veille assez distraitement tout près ne me laisse pas le temps d'en apprendre d'avantage. L'ouvrage n'est pas à vendre, les documents qu'il abrite lui appartiennent. C'est encore une jeune fille, très sérieuse. Elle continue à parler avec beaucoup d'animation à quelqu'un qui paraît être un ouvrier qu'elle connaît, et qui l'écoute, semble-t-il, avec ravissement. A notre tour, nous engageons la conversation avec elle... " (1)
L'écrivain aimante le mouvement, c'est un fait sur lequel le silence s'est installé, cela n'a aucune importance, il épouse les espaces invisibles du temps, déclenche des déflagrations secrètes, affole les coeurs et les corps, il écrit en regardant, en silence, dans le mouvement que fait sa main pour se saisir de ce livre incroyable, de cette bombe à retardement. Lisons, lisons, lisons encore :
" - Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout prés, tout prés.
Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d'aise
Ses petits pieds si fins, si fins.
- Je regardais, couleur de cire,
Un petit rayon buissonnier
Papillonner dans son sourire
Et sur son sein, - mouche au rosier.
- Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un doux rire brutal
Qui s'égrenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal.
Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent : " Veux-tu finir ! "
- La première audace permise,
Le rire feignait de punir !
- Pauvrets palpitants sous ma lèvre,
Je baisai doucement ses yeux :
- Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : " Oh ! c'est encore mieux ! ...
Monsieur, j'ai deux mots à te dire... "
- Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, qui la fit rire
D'un bon rire qui voulait bien...
- Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée.
Malinement, tout près, tout près. " (2)
Elle se tenait ainsi dans un dénuement éclairé, et s'amusait à déplacer au hasard, les reines, les rois, les fous et les cavaliers, il avait cesser de la fixer, avait ouvert le livre à la reliure de cuir vert, de temps en temps, il quittait les pages de soie pour la regarder, elle souriait à ses malices, il lui répondait d'un frôlement du pied, qui lui suffisait d'allonger pour atteindre sa cuisse gauche. C'est parfait se dit-il, poursuivons notre lecture.
à suivre
Philippe Chauché
(1)André Breton / Nadja / Gallimard (Éditions de 1963 entièrement revue par l'auteur)
(2) Première Soirée / Arthur Rimbaud / Oeuvres complètes / Gallimard / Bibliothèque de la Pléiade.
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Sautillements des habitants,
RépondreSupprimerEnchantements passionnants.
Baisés délicatement déposés,
Plénitude chuchotée,
Paupières fermées.
Feuillages chatouillés,
Par le vent levé.
Murmures des inconstances de la Nature :
Retentissement d’un éclair brutal,
Le ciel pleure ses larmes de cristal.
Fraicheur descendante,
Frémissements de l’Aimante.
Soubresauts de sa peau timide,
Nudité offerte d’un linge humide.
" Hémorragie des mots, des images. L'écriture proprement dite ne vient qu'après ces récits, longtemps après : la maitrise du silence, l'inventaire minutieux et comme impersonnel des lumières dans les arbres, sur la terre, dans un ciel. L'effacement. Les premiers manuscrits, sans doute étaient-ils nécessaires. Sans doute. Mais l'impatience et la volonté naïve qui présidaient à leur écriture les discréditaient à l'avance. Ils auront toujours été ainsi : dans les limbes. Trop riches, trop encombrés pour accéder à la souveraineté du jour. Il ne restait plus qu'à les brûler, qu'à les donner ici ou là, en demandant qu'on les perde, qu'on les oublie quelque part." [BOBIN C. Le baiser du marbre noir, in La Présence pure et autres textes.] Zoé
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