mardi 19 janvier 2010

L'Année des Délices (12)


Antoine Watteau 1684-1721

Il se saisit du dessin de Watteau comme l'on se saisit d'un mouvement, d'un regard, d'un corps aimé. Saisissement se dit-il, et immédiatement éblouissement.
Il se saisit de la vie qui se grise de joie, c'est ce qu'il appelle les évidences de la Courbe du Temps, un saisissement qui devient un éblouissement.
Il pense à cette voix, saisissement encore, qui s'est posée sur son regard, une voix est un saisissement et un éblouissement pense-t-il, une voix qui est une éclaircie permanente.

Il pense que tout devient clair et lumineux lorsqu'un mouvement de mains s'offre à lui, il pense aussi, que tout s'éclaire et s'illumine dans l'élévation d'un corps, étrange se dit-il, que ce mot élévation, lui vienne ainsi ce soir, une élévation c'est non seulement un mouvement visible mais aussi invisible, un déplacement visible vers le large et un retour secret vers la côte, un voyage qui ouvre sur les Courbes du corps.

Saisissement, il se saisit du livre comme l'on se saisit d'un corps qui s'envole :

" Voyage... Odette, au téléphone ce matin... Chaque appel, chaque signe, chaque parole... et c'est encore le même fil rouge... tout un roman passé... Nous avons vécu dans la même maison ( qu'est-ce qu'une maison, ce volume, cette masse nerveuse avec ses hémisphères ?... les labyrinthes d'un cerveau ) il y a plus de cinquante ans. Sa voix est familièrement ( les voix des femmes ) la même, rien n'a changé, sentiment très enfoui de proximité, de tendresse, d'attendrissement juvénile, et plus encore. Une mémoire attachée, maintenant romanesque, présente, enfouie, cachée. Ce qui reste avec moi... encore ( en corps )... J'ai donc vécu. C'est une surprise cette présence... J'ai des souvenirs, des voisins, des amis...

Le voyage... déplacement en cours de route... le sans fin. " (1)

Le saisissement du voyage, c'est à cela qu'il pense, le saisissement du Temps, de sa Courbe, d'un regard, d'une peau, le saisissement d'un mot, saisir des mots pour les mêler, saisir des phrases pour les illuminer. J'illumine les phrases se dit-il, j'illumine les mots et la peau. Une magie blanche éclairante.
A un ami qui lui demandait ce qu'il préférait dans la vie, il répondit la vie. La vie, un saisissement comme un bouquet de violettes, comme une explosion de pages qui s'ouvrent dans ses mains, pages d'un livre qu'il effleure comme un peau, miracle de la transformation du papier imprimé en chair, comme dans le dessin de Watteau.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Le savoir-vivre / Marcelin Pleynet / L'Infini / Gallimard

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