mercredi 6 janvier 2010

L'Année des Délices (5)


Gérard van Spaendonck 1746-1822 Tulipes
Tulipe : n.f. ( 1611 ; tulipan ; turc tülbend "(plante) turban"
Tulipe, toutes couleurs, déclaration d'amour.

Il écrit : " tout s'illumine dans une phrase prononcée, tout apparaît dans un mot offert comme un bouquet de fleurs de joie ". " Les phrases ", ajoute-t-il, " sont des corps vivants ", mais aussi, " les phrases donnent une autre résonance au corps qui les prononce, les phrases ont parfois le rouge qui monte aux mots, et c'est de ces miracles que naissent les illuminations, et l'immortalité, cet état de vie vive permanent qui s'ouvre sur un temps qui ressemble à celui de cette Courbe qui donne à la vie une nouvelle floraison ". " C'est de cette floraison des phrases et des corps ", pense-t-il, " que naît l'instant sacré du regard, cet instant unique, d'exception, vécu une seconde, il s'accomplit dans le temps présent, passé et futur ". C'est bien cela la révélation de la phrase du corps et du corps de la phrase, l'un pense-t-il, ne va pas sans l'autre. Le savoir, sauve.

Cette année des Délices est aussi le prolongement invisible de la Courbe du Temps dont il s'éprend, un autre écho doux et éblouissant, et c'est dans cet éblouissement que tout devient possible, ajoute-t-il. La rue des Martinets est autre ce soir, note-t-il, elle s'envole sous ses pieds, elle embrasse son regard, elle a elle aussi ses mots à dire et ses phrases à graver sur sa peau, elle l'embrasse de pierres blanches et de pavés. Il marche sans marcher, il écrit sans écrire, il offre son regard au ciel de la nuit, au souvenir des étoiles qui se sont un temps absentées, au regard de la danseuse rouge des bords du Fleuve et sous les arbres.

Cette année des Délices est celle des mots offerts comme des caresses, avec cette lenteur qui habite les fleurs qui s'ouvrent comme des livres au matin d'été. Il lit en embrassant le regard éclairant :

" Le silence est promesse de vie, et c'est pourquoi, à prendre conscience de celui qui règne ici, je me sens gagné par un profond bien-être, une confiance, le pressentiment que des heures pleines me seront accordées. De brusques embardées se produisent, et quelles fantastiques distances on se trouve parcourir à l'intérieur de soi en quelques secondes. Mystère de cet inconnu qui se présente et dont les changeants visages me conduisent de surprise en émerveillement. " (1)

La vie révélée lui semble aussi naturelle que la musique de Bach, il l'écoute après son évasion nocturne dans les rues vides de la ville. " Les suites françaises " tournent autour d'un axe invisible, qui n'est jamais le même, qui a le bougé subtile du pinceau de Cézanne, et la couleur admirable d'un corps endormi. Un corps endormi est un miracle, et il sait qu'il peut accompagner d'un regard de joie le miracle endormi.

Il reprend ses lectures sous l'oeil complice de Bach et de Glenn Gould :

" Tout contact spirituel ressemble au contact d'une baguette de magicien. Tout peut devenir instrument magique. Que celui à qui les effets d'un tel contact, les effets d'une baguette magique semblent fabuleux et prodigieux, se souviennent simplement du premier attouchement de la main de l'aimée, de son premier regard significatif, de ce regard où la baguette magique est un rayon de lumière brisée, qu'il se souvienne du premier baiser, du premier mot d'amour, et se demande si le charme et la magie de ces moments ne sont pas également fabuleux et étranges, inexplicables et éternels. "
(2)



Cette année des Délices est un fabuleux bouquet de vie, il l'offre à distance à la danseuse rouge des bords du Fleuve et sous les arbres, comme il offre les mots de joie qui se glissent sous sa peau et dans son regard.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Dans la lumière des saisons / Charles Juliet / P.O.L.
(2) Fragments / Novalis / traduc. Maurice Maeterlinck / José Corti

1 commentaire:

  1. Toute fleur est ambivalente , à la fois rayonnante et périssable...comme la vie...

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