lundi 9 mai 2011

Visages du Roman (34)




" ... pour l'Italie, les Français ont depuis toujours un choix : c'est ou Venise ou Naples. Debray c'est plutôt Naples. C'est-à-dire que c'est social ou asocial. Naples, c'est social, c'est la société italienne dans toute sa splendeur et dans toute sa misère. Venise, c'est asocial, c'est l'art, d'abord parce que c'est une ville cosmopolite où vous croisez aussi bien des Indiens que des Russes, des Américains, des Français, des Italiens, des Espagnols. Et dès que vous cessez d'être arrêté par rien d'autre que par le projet propre que vous portez avec vous. Nietzsche dit qu'il adore écrire en marchant. Venise est une ville où on marche beaucoup. Et en marchant on éclaire sa pensée. " (1)

" Nous arrivons à Venise le 14 octobre 2006. Le taxi nous dépose Campos san Guistina. Sur le hors-bord David sort sa caméra, filme l'écume du sillage et l'arrivée sur Venise. Le temps est magnifique. Ciel bleu vif. L'appartement de San Guistina est spacieux, entouré de fenêtres. Le soleil les traverse d'heure en heure accompagné des cloches qui se répondent par-dessus les toits...
Une bibliothèque trilingue, italien, anglais, français. D'un côté livres d'art, monographies, traités d'architecture. De l'autre littérature principalement française : Voltaire, Diderot, Flaubert, Stendhal...
Une discothèque, Mozart, Haydn, Haendel, Vivaldi, Monteverdi...
Une vidéothèque avec quelques films rares... Je découvre Ordet de Karl Dreyer...

Le soir nous installons la caméra sur un des ponts. Riva dei Schiavoni. Un paquebot quitte la ville. Le foule attend son passage, amassée le long de la rive. L'eau dorée est agitée par la circulation dansante des bateaux. Au loin la Salute est déjà à contre-jour. Un point rougeoyant éclaire une des ouvertures traversée d'un rayon. Le paquebot s'avance. Derrière lui la ville disparaît et réapparaît à la poupe. Les passagers sur le pont applaudissent les spectateurs sur le quai, qui leur répondent, personne ne sachant plus sur quel bord de la scène il est... Passagers d'un embarquement mystérieux. A côté de moi, une jeune Américaine, les larme aux yeux, murmure " Why, why is it so beautiful ? ... How can that exist ? ".

Le grand théâtre flottant passe lentement et la foule étonnée applaudit encore longtemps. " (2)

Quelles images, quelles villes, quels mots montrer – mettre devant les yeux, mais aussi révéler - d'un écrivain vivant ?
Ce qui pourrait être une question est ici une réponse lumineuse, celle de Florence Lambert dans Vita Nova (3), c'est ce qu'il note.
Le mouvement d'un corps particulier – celui de l’écrivain - unique, dans le centre tellurique de trois villes rares, Paris, Rome, Venise, le mouvement du Temps de l'homme des situations, expérience intérieure et joyeusement solitaire, que seules les phrases dans leur mouvement peuvent rendre, et parfois un film, c’est le cas de Vita Nova, pour une raison simple, Florence Lambert est danseuse, et c’est en danseuse silencieuse et attentive qu’elle écoute l’écrivain, c’est en danseuse qu’elle accompagne les lignes de risque de l’écrivain, qu’elle met devant les yeux les livres, et le corps de Marcelin Pleynet.


photo Vita Nova : David Grunberg

« Le temps, le ciel mouvant, je passe des heures avec ces mondes nuageux qui se couvrent et se découvrent, aventure, profondeur du ciel … (regardez bien Vita Nova) des passerelles de cuivre, de plates-formes, des escaliers qui contournent les halles et les piliers, j’ai cru pouvoir juger la profondeur de la ville. Il sonne une cloche de feu dans les nuages. On a reproduit dans un goût d’énormité singulier toutes les merveilles classiques de l’architecture. Bottom, tisserand des nuages. Métamorphoses. Le temps est un enfant qui joue dans son jeu quelque part, là-haut… et la visite des amis.
Gérard et Christina… Nous avons passé toute une semaine ensemble à Venise. Roman : Je vous revois arrivant en gondole sur la piazzetta, ou encore bottés (aqua alta), riants et légers, les pieds dans l’eau, au Harry’s Bar… Savoir-vivre quasi aristocratique de Gérald. Nous étions ensemble pour le passage du siècle. J’aime les regarder. Ils sont donc là. Ils ne s’attardent pas, juste le temps qu’il faut, comme il faut. » (4)


photo Vita Nova : David Grunberg

Et puis il y a, note-t-il, le mouvement des peintres, Matisse, définitivement Matisse, mais aussi Cézanne – l’art ne s’adresse qu’à un nombre extrêmement restreint d’individus - et Picasso, tout un Roman, et ici tout un film.




à suivre

Philippe Chauché

(1) Art et Littérature / La Vie Littéraire - Marcelin Pleynet / L'Infini / N° 112 / Gallimard
(2) Filmer Marcelin Pleynet / Florence D. Lambert / L'Infini / N° 113 / Gallimard
(3) Vita Nova / DVD / à commander à l'adresse de l'auteur : florencelambert@wanadoo.fr / pour en savoir plus : pileface.com et marcelinpleynet.fr
(4) Le savoir-vivre / Marcelin Pleynet / L'Infini / Gallimard / 2006

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Laissez un commentaire