mardi 6 septembre 2011
Ma Librairie (10)
« Dresser des pierres votives, matérialiser des expériences, donner une consistance durable à ce qu’il y a d’insaisissable et de fugace dans n’importe quel fait, fixer des réalités pas des moyens qui empruntent au naturalisme – quand il le faut – l’indispensable pour convaincre mais rien de plus : telle apparaît, en gros, l’activité de Giacometti, qui semble avoir choisi comme façon constante de s’exprimer un art à trois dimensions parce que c’est dans un tel art qu’il est le plus difficile de s’en sortir sans tricherie. » (1)
« En cette fin d’après-midi d’avril 1964 le vieil aigle despote, le maréchal-ferrant agenouillé, sous le nuage de feu de ses invectives (son travail, c’est-à-dire lui-même, il ne cessa de le fouetter d’offenses), me découvrit, à même le dallage de son atelier, la figure de Caroline, son modèle, le visage peint sur toile de Caroline – après combien de coups de griffes, de blessures, d’hématomes ? – fruit de passion entre tous les objets d’amour, victorieux du faux gigantisme des déchets additionnés de la mort, et aussi des parcelles lumineuses à peine séparées, de nous autres, ses témoins temporels. Hors de son alvéole de désir et de cruauté. Il se réfléchissait, ce beau visage sans antan qui allait tuer le sommeil, dans le miroir de notre regard, provisoire receveur universel pour tous les yeux futurs. » (2)
« L’Homme qui marche (1947, 170 23 x 53 cm) n’est pas moins magnifiquement engagé dans l’aventure, la possibilité extrême de lui-même. Dans son essai sur Giacometti (Giacometti, Verlag Gerd Hatje, Stuttgart, 1971), Reinhod Hold note que « l’homme qui marche est une cause libre ». Ce qui souligne une autre ouverture à ce que la sculpture de Giacometti propose à notre méditation : dans un monde jamais vu l’Homme qui marche est une cause libre : parce qu’il est en lui-même, et pour lui-même, sans cause.
Pour Giacometti, dans la réalité du monde invisible, l’homme qui marche ne possède pas la liberté comme une propriété, c’est la liberté qui le fait marcher et brusquement le possède.
Giacometti aspire ici, comme Cézanne, à la liberté (« Je vous dois la vérité en peinture », écrit Cézanne à Emile Bernard), parce que, possédé par la liberté, et dans la mesure où, dans « le monde invisible » que dévoile la sculpture de Giacometti, dans le monde de Giacometti, « l’essence de la vérité c’est la liberté » (Heidegger, De l’essence de la vérité, Gallimard, Paris, 2001). » (3)
Saisir, note-t-il, tout ce que dévoile le mouvement du sculpteur : essence de l'art. L'Homme qui marche, ne cesse de se déplacer, impossible de le figer, sa marche est la marche de l'art, son mouvement prometteur transforme à vue ce qu'il traverse.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Pierres pour Giacometti / Brisées / Michel Leiris / Folio essais / Gallimard / 1992
(2) Célébrer Giacometti / Le Nu perdu / René Char / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard
(3) Giacometti / le jamais vu / Marcelin Pleynet / Dilecta / 2007
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