jeudi 1 septembre 2011

Ma Librairie (7)




" La plupart des écrivains d’aujourd’hui sont contre nous, parce qu’ils ne sont pas avec nous : ils ne sont pas des écrivains ; c’est dire qu’ils pèchent contre la langue, laquelle seule importe, d’une certaine façon - contrairement à celle dont ces écrivains veulent exister : en oubliant la langue, en faisant comme si elle n’existait pas, ou qu’elle soit un simple outil de communication : autant dire qu’ils s’oublient eux-mêmes, puis-je avancer, notant cela tandis que le soleil se lève, devant moi, entre l’îlot du Grand Bé, où est enterré un des plus grands artiste de notre langue, et Saint-Servan, à droite, où gît la femme qui l’a mis au monde : angle magnifique dans le compas solaire de l’amour filial et de la langue, dans ce nombre d’or de l’écriture, qui constitue la véritable sépulture de Chateaubriand, lequel repose dans le soleil levant dont sa langue a reçu la semence. Les mauvais écrivains, eux, dispersent au lieu de bâtir dans la lumière, et ils écrivent d’une main desséchée, que rien ne guérira. Qu’ils se haïssent les uns les autres, cela semble une loi du milieu littéraire, la plus basse, avec les serpents qui gardent le temple du Nouvel Ordre moral. Elle n’a pas de sens pour nous. Le désert du sens croît. Diviser les justes, multiplier les méchants, voilà à quoi travaillent nos ennemis, multipliant les pierres en lieu et place du pain, et nous reprochant, à vous comme à moi, de trop publier, c’est-à-dire d’exister. Ils voudraient que notre royaume se divise ici-bas et que nous n’atteignions pas au Royaume du Père. Ils prétendent que nous nous haïssons. Je suis pour ma part dépourvu de haine, mais non d’armes. Ils nous prétendent des imposteurs pour faire oublier qu’ils prêchent le faux. Je n’ai pas de posture d’écrivain : j’écris. La guerre n’est pas une posture mais un acte, comme l’écriture. Elle seule me définit, ou me vouera à l’oubli. Du moins serai-je resté fidèle à la douceur terrible de l’ange qui est en moi. " (1)




Les écrivains de ma Librairie ne s'écrivent guère, note-t-il, il y a eu, " Ennemis publics ", de Michel Houellebecq et Bernard-Henri Lévy (2), et cette lettre de Richard Millet - notons que cet écrivain de mauvaise réputation à la plume exemplaire, publie au moins deux livres en cette rentrée littéraire, parions que les gazettes n'en diront rien, même traitement est souvent accordé à Roland Jaccard - à ne pas mettre entre toutes les mains, que le site " pileface.com " publie dans son intégralité, puis silence. Étrange ? Non état des lieux et de la guerre plus ou moins secrète qu'ils se livrent, pour un prix, quelques critiques élogieuses ici ou là, une invitation sur le plateau d'une télévision, ou dans le studio d'une radio, une négociation pour un transfert dans une autre maison d'édition, peut-être simplement leur manque de style, qui déjà s'impose partout, et qu'il serait fatal de confronter.

" Madame de Chateaubriand obtient la permission de me voir. Elle avait passé treize mois, sous la Terreur, dans les prisons de Rennes avec mes deux soeurs Lucile et Julie ; son imagination, restée frappée, ne peut plus supporter l'idée d'une prison. Ma pauvre femme eut une violente attaque de nerfs en entrant à la Préfecture, et ce fut une obligation de plus que j'eus au juste-milieu. Le second jour de ma détention, le juge d'instruction, le sieur Desmortiers, m'arriva accompagné de son greffier. M. Guizot avait fait nommer procureur-général à la cour royale de Rennes un M. Hello, écrivain, et par conséquent envieux et irritable comme tout ce qui barbouille du papier dans un parti triomphant....


Il voulut raisonner avec moi ; je ne pus jamais lui faire comprendre la différence qui existe entre l'ordre social et l'ordre politique. Je me soumettais, lui dis-je, au premier, parce qu'il est de droit naturel ; j'obéissais aux lois civiles, militaires et financières, aux lois de police et d'ordre public ; mais je ne devais obéissance au droit politique qu'autant que ce droit émanait de l'autorité royale consacrée par les siècles, ou dérivant de la souveraineté du peuple. Je n'étais pas assez niais ou assez faux pour croire que le peuple avait été convoqué, consulté, et que l'ordre politique établi était le résultat d'un arrêt national. Si l'on me faisait un procès pour vol, meurtre, incendie et autres crimes et délits sociaux, je répondrais à la justice ; mais quand on m'intentait un procès politique, je n'avais rien à répondre à une autorité qui n'avait aucun pouvoir légal, et, par conséquent rien à me demander. " (3)



à suivre



Philippe Chauché



(1) Lettre à Philippe Sollers sur la haine et sur le diable / extrait / Richard Millet / L'Infini / 113 / Hiver 2011 / pileface.com


(2) Flammarion - Grasset / 2008


(3) Mémoires d'outre-tombe / Livre XXXVI / Chapitre 6 / Chateaubriand / Quarto / Gallimard




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