mercredi 12 octobre 2011
Du Bleu au Blues
" Le 14 avril 1971,à quatre-vingt-dix ans, donc, Picasso peint ce chef-d'oeure d'éveil, rieur et délicat : Le Jeune Peintre. Le peintre a désormais tous les âges, il le dit. Le jeune artiste, lui, est gaucher, il a traversé le miroir. Voilà donc, dans un ton pastel dix-huitièmiste, une nouvelle naissance, grise, blanche, bleue. L'expression du visage est aiguë, un peu intimidée, curieuse. Il y a de quoi être surpris, après avoir fait le tour de l'univers, de se retrouver de nouveau ici, il va falloir s'y remettre, en regardant bien...
Qu'on l'admette ou non, la peinture vit de poésie. " (1)
Toujours aussi élégant, Miles Davis monte sur scène, c'est son atelier, les jeunes musiciens qui l'accompagnent sont attentifs, note-t-il, enjoués, quel mot, ce sont les meilleurs, le trompettiste s'est toujours entouré des meilleurs ; la question de la couleur de leur peau n'est pas son affaire, il laisse cela aux frileux et aux hargneux, autrement dit aux sourds, et en son temps, comme aujourd'hui, ils sont nombreux ; il ne regarde pas le public mais son batteur, malentendu vivace, il est seul, donc très bien accompagné, des femmes et des musiciens - c'est parfois la même chose - ; comme Picasso, " il ne cherche pas, il trouve ", ses disques sont là pour le vérifier, toujours en avance et en retrait, dans l'art simplement, un oreille dans le blues, l'autre dans d'arabesques constructions mélodiques toujours plus turbulentes, comme Picasso, pense-t-il, un oeil ici et l'autre ailleurs, Zurbaran, Vélasquez, Goya, Cézanne - sa grande histoire -, ce qui déroute plus d'un observateur professionnel, on croit les entendre, " mais dans quel cercueil vais-je pouvoir les enfermer ? ", c'est ce qu'ils disent aussi de José Tomas, tout aussi hors du temps et en son centre même, du Bleu au Blues, de l'oreille à la main, tout un roman.
Deux filtres essentiels : la peinture et la musique, on peut y ajouter un troisième : la littérature pense-t-il :
" Je me pris à aimer à New York, la sensation capiteuse et aventureuse qu'il donne la nuit et la satisfaction que le constant papillonnement d'hommes, de femmes et d'automobiles offre à l'oeil privé de repos. J'aimais remonter la Cinquième Avenue, choisir dans la foule des femmes romanesques, imaginer que dans quelques minutes j'allais m'immiscer dans leur existence, sans que personne le sût ou me désapprouvât. Parfois, en imagination, je les suivais jusque chez elles. Elles habitaient des appartements aux carrefours de rues secrètes. Elles tournaient la tête et me rendaient mes sourires avant de disparaître par une porte, dans l'obscurité chaude. Aux crépuscules enchantés de la métropole, j'éprouvais de temps en temps la hantise de la solitude et je la sentais aussi chez d'autres - pauvres employés qui flânaient devant des vitrines en attendant l'heure de dîner tout seuls au restaurant - jeunes employés gâchant, à la brune, les instants les plus émouvants de la nuit, de la vie. " (2)
à suivre
Philippe Chauché
(1) Picasso, le héros / Éloge de l'Infini / Philippe Sollers / Gallimard / 2001
(2) Gatsby le Magnifique / Francis Scott Fitzgerald / traduc. Victor Liona / Grasset / 1946
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Je découvre ce petit portrait dont j'ai du mal à détacher mon regard. Il est surprenant attirant...j'aime ! et je ferais bien un lien avec Miles Davis qui est tout aussi enchanteur à mes yeux qui sait m'embarquer suspendue à son souffle hors du temps..;-)
RépondreSupprimerbonne journée
Chère visiteuse, ce petit tableau du "jeune peintre" est une merveille à rapprocher de ses "mousquetaires" tout aussi troublants et traversés par la très ancienne et éblouissante jeunesse du peintre de Malaga-Paris, et je n'ai pu m'empêcher d'entendre en écho la musique de Miles Davis, jeunesse du jazz qui est une trace du "mouvement du temps" comme on pourrait le dire, Rénica, de celles des pinceaux et des couteaux de Picasso.
RépondreSupprimerMerci et belle journée d'été. *
Philippe Chauché
* c'est le cas ici