mardi 25 octobre 2011

Ma Librairie (25)



" Je redeviens sauvage. Les femmes s'ensauvagent, elles aussi, plus libres, plus dures, proches ou lointaines, nombreuses, marchant à la conquête du monde. Et me voilà de nouveau seul. Je vieillis, beau verbe aux teintes d'anciens émaux limousins, et qui me rappelle qu'un jour, beaucoup plus tôt que je ne l'imagine, je reposerai dans la terre de Siom, à côté de ma mère qui vient de mourir, à Lausanne, sous les yeux de personne, comme elle disait, et comme elle a toujours vécu. " (1)

C'est l'écrivain et son double, un écrivain nanti d'une oreille la plus fine qui soit, note-t-il ; bien entendre pour bien écrire et bien voir. Richard Millet s'écoute raconté pour mieux s'écrire, son double en narration se dissimule derrière un miroir auditif où chaque parole prononcée rebondit pour ensuite s'élever dans l'absolu du style, c'est la position de l'écrivain embusqué, qui pour saisir la faillite du monde et des phrases, ne peut que s'en tenir éloigné, sans pourtant, ajoute-t-il, définitivement s'en éloigner, comme s'il affirmait, que l'on ne voit bien que ce que l'on devine, sachant que l'on en a déjà beaucoup vu et beaucoup fait ; Kafka n'est jamais très loin.

" J'avais décidé de rester caché ; je n'avais pu en savoir davantage sur la beauté de celle que ma soeur avait introduite au salon et à qui elle disait, comme nous en étions convenus, que je n'étais pas encore arrivé à Siom, ce qui faisait de moi l'unique fantôme de la maison, les deux femmes trouvant à s'accorder sur mon dos, comme il se doit entre femmes, dès lors qu'elles n'entrent pas en concurrence, la visiteuse parce qu'elle était dépitée de ne pas trouver celui qu'elle avait fait tant de kilomètres pour rencontrer, ma soeur parce qu'elle était heureuse de lui répondre que je suis un personnage impossible, comme tous les écrivains, même ceux qui semblent avoir renoncé à tout rôle social, sinon à la littérature, reprenant alors une phrase : " Tu n'es pas vivant ! Tu vis avec les morts ! ", que j'avais entendue prononcer à tant de femmes blessées, et même à certains hommes, et qui en concluaient, les uns et les autres, que les écrivains n'ont pas tout à fait la même constitution que le commun des mortels, et qu'ils sont plus proches des idiots, des autistes ou des défunts que du reste de l'humanité. " (1)

Dans ce théâtre d'ombres - certaines mordent et griffent -, pense-t-il, l'écrivain n'a point d'autre place que celle, évoquée plus haut, d'un guetteur embusqué aux tympans vigilants, et aux phrases fusant comme des balles traçantes, sans que jamais l'on n'en devine la cible réelle et dont, ajoute-t-il, la seule raison est de continuer plus que jamais à bien écrire, ce qui en ces temps, relève d'un art secret, clandestin, comme finalement, et je le vois bien ainsi, note-t-il, celui d'un premier chrétien, qui sait qu'il finira dans l'arène aux lions, ou lapidé sur quelque place où les sourires sont désormais déformés par les grimaces de la barbarie, sauf si par miracle, conclut-il, une fiancée libanaise vient à le sauver, ce qui est le pire que l'on puisse lui souhaiter.


à suivre

Philippe Chauché

(1) La Fiancée Libanaise / Gallimard / 2011

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Laissez un commentaire