jeudi 25 octobre 2012

L'Art de la Fugue







La servitude volontaire consisterait à accepter comme livre comptant que si Sollers écrit beaucoup et un peu partout sur tout ce qui le chante et l'enchante, publie, fait publier, s'affiche avec la régularité d'un Maréchal sur les plateaux du petit écran, ne mérite pour le moins aucune attention, et au pire qu'il soit voué aux gémonies. Rarement écrivain, lecteur, éditeur n'a ainsi été visé et tiré en vol par une foule de chasseurs d'idées et de livres, qui sentent que leur petit commerce critique et éditorial, était là sur le vif, ébranlé par une vague de pensée - de savoir et de saveur dirait Barthes - qui les submerge et pour beaucoup les laisse nus et sans voix. Ils s'emploient donc à faire taire le Pape de l'Edition - c'est ainsi que certains aiment à le définir -, ou en parlent pour ne rien en dire - ce qui est la même chose -, et bien entendu ne le lisent pas, trop occupés semblent-ils et pour beaucoup par la moraline active qui coule dans leurs veines et l'insupportable que déclenche chez ces humanoïdes pressés et encombrés ce nouvel opus.


Et pourtant, il suffit de lire, - s’accorder à la fugue des corps, des notes et des phrases dirait ma chère voisine qui en sait beaucoup sur ces éclats – en oubliant tout prêt à penser et tout prêt à savoir : méthode de récolte à la main et à l’œil, vendange racée et élégante.


Lautréamont : « Dans les années à venir, le lecteur va se faire de plus en plus rare. On n’en sera plus à redresser des contresens ou à détruire des interprétations vaseuses, on sera confronté à des gens incapables de lire un langage un peu soutenu. Au fond, on en est déjà là. « Le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce comme ce qu’il lit », et pourtant « sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage, à travers les marécages désolées de ces page sombres et pleines de poison », cette figure devient de plus en plus virtuelle, pour ne pas dire improbable. Mais quelqu’un existera toujours au singulier : le lecteur. »


Destin du français : « Personne n’ose plus toucher à la Terreur. Maistre, là encore voit loin. Il n’oublie pas, lui, de situer le Diable dans cette affaire. C’est la grande question, néanmoins. Reprenons les choses de plus haut : le français est la langue où la Révolution s’est produite, il donc aussi la langue de la Terreur. Clemenceau disait : « La Révolution est un bloc. » Il a raison. On ne peut séparer la Révolution et la Terreur, elles sont indissociables. Pour autant, on aurait tort de se figer dans une position réactionnaire. Il n’y a rien à regretter. L’Eglise gallicane et la monarchie ont failli. Elles ont failli par rapport à l’Eglise catholique romaine. Erreur funeste du français de s’halluciner comme une langue nationale ! Là-dessus, les Jacobins n’ont fait qu’amplifier l’erreur gallicane.


Qu’est-ce que le français, destinalement ? C’est la capitale occidentale du trésor européen. »


Non omnis moriar : « Dans les sonates pour piano, le piano devient tout à coup autre chose que le piano, avec ses accélérations brusques, ses interruptions inouïes, pour faire entendre brusquement le silence – Gould a compris ça chez Haydn, de l’intérieur. »


Le Génie chinois : « Adieu, adieu, festivals, théâtre, cinéma, télé, polars, romans fabriqués, biennales sinistres, verbosités creuses, agitation politique, clichés, calculs, marchandisation du visible, falsification des sens, expositions déprimantes, laideur à tous les étages.


Vous voulez de la beauté et de la vérité. Vous entrez donc dans le mystère éclairant chinois qui ne se laisse ni dissoudre ni abattre. Sous la Chine, désormais en expansion folle, la Chine millénaire active. Le moine-peintre dont il est ici question est un des plus grands penseurs et artistes de tous les temps. Le barbare, en vous, fait la moue ? On pourrait être penseur et artiste en même temps ? Eh oui, et il y a là de quoi désespérer les philosophes occidentaux dans les siècles des siècles. »


Stendhal chez moi : « A la fin de l’année 1838, Stendhal, qui a retrouvé Giulia, son amour ancien et final, va se cloîtrer à Paris pour écrire à toute allure le plus beau roman du monde : La Chartreuse de Parme. Le 14 mars, il note au bord de la Garonne : « Ce matin, j’ai oublié la vie pendant deux heures. Je respirais les premières bouffées de l’air doux du printemps sur cet admirable quai… « Pas de doute, la vraie identité nationale se réfugie à Bordeaux, et Stendhal insiste sur le caractère « viveur » des corps qu’il a sous les yeux. Que ce soit une leçon pour ce morne pays actuel est donc clair. « A une époque d’hypocrisie et de tristesse ambitieuse, la « sincérité » et la « franchise » qui accompagnent le caractère « viveur » placent le Bordelais au premier rang parmi les produits intellectuels et moraux de la France. »


Métaphysique du dandysme : « Le dandy a besoin de masques, comme la vrai philosophie. Son rêve est d’être là comme s’il n’était pas là, visiblement invisible, insoupçonnable. Laissons la parole au surdandy Nietzsche, aventurier risqué de la vraie vie :


« Tout esprit profond a besoin d’un masque ; je dirai plus : un masque se forme sans cesse autour de tout esprit profond, parce que chacune de ses paroles, chacun de ses actes, chacune de ses manifestations est continuellement l’objet d’une interprétation fausse, c’est-à-dire plate. »


Voilà, note-t-il, un écrivain impossible, une langue admirable, un musicien inouïe, un penseur pêcheur chinois, un écrivain français admirable, la figure d’un dandy, mais aussi un Pape musicien, un aventurier italien, un sculpteur scandaleux, un peintre français : un roman permanent qui s’écrit devant vous, avec vous si vous le désirez ou sans vous, question musicale, et question théologique, qui resteront sans réponse.




à suivre

Philippe Chauché

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