samedi 13 octobre 2012

L'Or et la Soie

" C'était une robe-jardinière, un sarrau à l'ancienne dont les larges bretelles font de mes épaules des ailes repliées. Le buste m'est trop étroit, moi qui ai les seins lourds. Ainsi, quand je m'y glisse les jours de grand soleil et que je me penche sur les dahlias à cueillir, deux tétons s'échappent, et je me souviens qu'ils ont été objets de désir, objets nourriciers. Bien vite je me redresse, car en aucun cas je ne veux être prise pour une ménade de jardin. " (1)

" Je suis très belle ce jour-là.
Mes jambes le sont aussi qui sont longues et lisses. Une peau dorée m'enveloppe dont le grain est aussi fin que celui d'une peau de Japonaise. Précisément, je vais farder ces jambes, non pas d'une crème ou d'un hâle artificiel, mais d'un voile de nylon imprimé de plumes multicolores, falbalas imaginés par un styliste japonais. D'ordinaire, l'austérité de ses kimonos éteints et ses plissés serrés nous rendent graves, hiératiques. Cette fois-ci, il s'est joué de la chaussette en coton blanc des geishas la transformant en une chaussette de petite fille de Paris haute jusqu'au genou. " (1)

" Chez moi, rien n'est blanc ou noir. Chez moi règnent les couleurs rose, jaune, vert. Je mélange tout de façon gaie et neuve. Aucune maîtrise des tons et des styles, mais j'émerge de cette discorde avec hardiesse et assurance. Ce sombre fourreau me devient une étrange aventure. Je veux tant l'habiter que ce désir déjà me pose, me rend femme. Je prends un bain, je ponce mes coudes et mes pieds, je noue mes cheveux en torsade longue, j'ombre mes yeux et mes joues, je rougis mes lèvres et mes ongles. Un body noir et des bas à couture m'y préparent. Du parfum se renverse entre mes seins, derrière les genoux, dans mes mains. Ce soir, je serai une inconnue pour mon amour, tout à fait digne de la robe de moire. " (1)

" Il arriva, tard dans ma vie, qu'un simple métrage de crêpe me fit le plus joli buste qui soit. Ce fut une jupe à taille haute et qui m'enserrait jusqu'à la quatrième côte de sa douceur, soulignant de noir le globe blanc de mes seins encore beaux. Les plis froncés sur les hanches formaient une houle rendant sveltes mes lombes, longues mes cuisses, infléchis mes reins. Ah ! pouvoir sortir les seins nus, ceinte seulement de cet écran de soie voilant d'autres secrètes demeures. (1)

Toute manière de paraître, pense-t-il, est une façon d'être.
L'étoffe, le rouge qu'elle dépose sur ses lèvres, le mouvement de sa marche que révèle la soie qui l'habille, l'or de son oeil et le rythme qu'elle donne à ses phrases, même alchimie, même art, même éthique, le corps se livre aussi dans l'audace de ce qui le cache.
Regarder et se laisser embarquer, sans s'en laisser compter, par l'aventure des fils qui couvrent pour dire mieux ce qui s'offre en un éclair.



Le petit livre de cette anonyme qui affiche le nom d'une étrange dame, s'est offert, note-t-il, comme s'offrent des étoffes dérobées au Temps, des taffetas en disent beaucoup sur l'art de l'être qui s'en pare, ils sont le mouvement de cette femme unique, de son corps qui  n'apparaît que de la transparence secrètes de ses étoffes, et de ses silences ainsi dissimulés, la soie parle et le corps danse, et l'observateur privilégié s'en voit éclairé.



à suivre

Philippe Chauché

(1) Idelette de Bure / La Garde-Robe / arléa / 2008

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