lundi 15 octobre 2012

Magie


" Magiques ai-je fait les arts, en volant ", nous confie Lope de Vega dans un vers merveilleux. Arts magiques du vol : le chant, la danse, les courses de taureaux espagnoles, comme la part d'improvisation sur la guitare qui accompagne le chant profond, tels sont les arts magiques qui s'envolent sans laisser de trace ni de trait signalant une route pour qu'elle se répète : arts purement analphabètes. Voilà c'est tout particulièrement en Espagne qu'il y eut et qu'il y a encore le flamenco, danse gitane qui est morisque ou simplement andalouse ; le chant profond, tout aussi impossible à transcrire musicalement que l'accord arpégé de la guitare qui l'inspire ou le freine ; les courses de taureaux, où la vive improvisation du toreo, signalée par des traits de raison fort précis, transcende et dépasse à chaque instant de son être - qui est de paraître vain - la définition ou figuration rationnelle qui apparemment le fonde : sa propre évidence ou révélation lumineuse encore rehaussée, cruellement, par l'obscure présence invisible de la mort, impétueuse comme le taureau, qui la rend possible, la soutient et paradoxalement l'affirme sous le masque de sa négation. La danse et le chant andalous semblent s'unir dans la figure lumineuse et obscure du torero et du taureau ; de la raison et de la passion ; de la vérité et de la vie ; pour, en définitive, jouer le tout à pile ou face, le tout pour le tout. " (1)

Ce que l'on prend là pour de l'improvisation s'avère être une construction des plus élaborées, d'une précision d'architecte, ce qui semble n'être qu'une transposition sévère de l'art du beau est en fait le signe d'un savoir qui laisse le bruit du temps le transformer, le modeler et l'offrir dans la pureté du diamant, ne montrant que la découpe la plus délicate et cachant celle qui paraîtrait plus brute et plus sauvage, l'art du beau est dans ce qui ici nous occupe, cette  magique rencontre que ne voient que les voyants.

à suivre

Philippe Chauché

(1) La solitude sonore du toreo / José Bergamin / traduc. Florence Delay / Seuil / 1989

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