mardi 23 octobre 2012

Lui Seul


" J'avais une autre exigence : je voulais étendre le laps de temps pendant lequel l'homme enferme la bête dans le cercle de son pouvoir ; prolonger l'hypnotisme qu'exerce le ralenti, et donner enfin une sorte de consistance à ce lien irréel que je tisse avec le taureau. J'ai donné une nouvelle dimension à l'enchaînement des passes. " (1)

" L'homme m'attendait à deux mètres de la porte de l'hôtel. Je devrais être plus précis, l'homme en noir était debout, cigarette entre les doigts de la main gauche - belles mains de pianiste - appuyé sur le mur blanc de la maison d'hôte où je me suis habillé Il m'attendait sans m'attendre, c'est ce que j'ai pensé quand je l'ai vu, une seconde nous nous sommes fixés. Il n'a pas détourné son regard, je ne détourne jamais mon regard, " tu regardes toujours étrangement ce qui va advenir " m'a-t-on dit un soir à Madrid, ciel strié de harpons, " ciel de fin du Temps " a-t-on ajouté, comme si le Temps devait finir, cette pensée m'a fait sourire, moi qui sourit toujours qu'avec précaution.

La longue voiture grise m'attendait, je m'y suis engagé, lentement, ma cape fleurie repliée sur l'avant bras gauche, cérémonial lumineux aux couleurs d'Aguascalientes. J'ai choisi, Adolfo l'a peint d'une aiguille juste et fine, point de Vierge, pas de Christ, mais les éclats entrelacés de la nature, peut-être Matisse sur le motif. Je choisi toujours le motif qui m'inspire et me délivre des griffes du démon, le démon, je le sais tremble devant les fleurs. Je ne tremble jamais devant les taureaux, question de style, question d'éthique et d'esthétique. " Lorsque je tremblerai, je partirai " avait écrit un styliste du vide et de la gravité, sa photo encadrée accompagne les instants où je laisse mon art naître, sa photo et des murs de miroir, non pour me voir toréer, mais pour saisir l'invisible de mon toreo.

Il y a eu l'attente et la rumeur, il y a eu la musique et les pas comptés à traverser l'ovale, et les éclats du Temps, il y a eu le regard retrouvé plus tard. Lorsqu'il m'a tendu son billet, " pour vous Monsieur, j'ai tout dans le corps, au plus profond des muscles et sur la peau, j'ai tout entendu et tout vu, ce Roman, que demain, dans cent ans, j'ouvrirai en souvenir de vous, je peux donc vous offrir la trace de mon passage ici ! ". J'ai conservé le billet : " Entrée B - Tribune Présidence - Porte 16 - Rang 1 - N° 17 ". Un billet pour l'Histoire, me dit-on.

" Ce n'est point assez qu'un héros,qu'un grand homme ait beaucoup d'esprit et que l'art ait achevé sur cela dans lui ce que la naissance avait commencé : il lui convient également d'être né avec du goût, et de perfectionner ce qu'il en a reçu de la nature. " (2)




à suivre

Philippe Chauché

(1) Le Calife / François Zumbeihl / Marval / 1995
(2) Le Héros / Baltasar Gracian / traduc. Joseph de Courbeville /  Distance / 1993

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