lundi 16 mars 2009

Le Chant du Pêcheur



Voilà un bien étrange écrivain, à la fin des années 60, il dressait la chronique sans faille de la " Révolution culturelle " :

" La " Révolution culturelle " qui n'eut de révolutionnaire que le nom, et de culturel que le prétexte tactique initial, fut une lutte pour le pouvoir, menée au sommet entre une poignée d'individus, derrière le rideau de fumée d'un fictif mouvement de masses ( dans la suite de l'évènement, à la faveur du désordre engendré par cette lutte, un courant de masse authentiquement révolutionnaire se développa spontanément à la base, se traduisant par des mutineries militaires et par de vastes grèves ouvrières ; celles-ci, qui n'avaient pas été prévues au programme, furent impitoyablement écrasées ). En Occident certains commentateurs persistent à s'attacher littéralement à l'étiquette officielle et veulent prendre pour point de départ de leurs gloses le concept de " révolution de la culture ", voire même " révolution de la civilisation " ( le terme chinois wenhua laisse en effet place à cette double interprétation ). En regard d'un thème aussi exaltant pour la réflexion, toute tentative pour réduire le phénomène à cette dimension sordide et triviale d'une " lutte pour le pouvoir " sonne de façon blessante, voire diffamatoire aux oreilles des maoïstes européens. Les maoïstes en Chine, eux, ne s'embarrassent plus de telles délicatesses : la définition de la " Révolution culturelle " comme une lutte pour s'emparer du pouvoir ( quanli douzheng ) n'est en effet pas une création des adversaires du régime, c'est la définition officielle proposée par Pékin et constamment répétée dans les éditoriaux du Renmin ribao ( Le Quotidien du Peuple ), Jiefang jun bao ( Journal de l'Armée de libération ) et Hongqi ( Le Drapeau rouge ) dès le début de 1967 au moment où le gouvernement était suffisamment avancé pour pouvoir définitivement abandonner le paravent culturel derrière lequel il avait abrité ses premiers pas. Que Mao Zedong eût effectivement perdu le pouvoir a pu paraître, à distance, difficile à admettre par des observateurs européens. C'est pourtant bien pour le récupérer qu'il déclencha cette lutte. Ce qui est stupéfiant, c'est qu'il soit encore nécessaire ( après quatre années de " Révolution culturelle " ! ) de rappeler de telles évidences. " (1), régulièrement nous avions de ses nouvelles, nous le savions incomparable connaisseur de l'art chinois, traducteurs - nous y reviendrons - de quelques auteurs chinois, délicats et vibrants, pratiquant l'art subtile du mélange :

" Harmonie Mondiale :
Que chacun reste chez soi !
Les Maoris au Groenland, les Basques en Ethiopie, les Peaux-Rouges en Nouvelle-Guinée, les Picards à Samoa, les Esquimaux à Bratislava, les Papous en Wallonie et les Celtes en Sibérie.
Louis Scutenaire.

Herbage :
Il y a toujours plus d'herbage pour le philosophe dans les vallées de la bêtise que sur les hauteurs arides de l'intelligence.
Wittgenstein.

Loisirs, oisiveté, paresse :
Il faut en France beaucoup de fermeté et une grande étendue d'esprit pour se passer des charges et des emplois, et consentir ainsi à demeurer chez soi et à ne rien faire : personne presque n'a assez de mérite pour jouer ce rôle avec dignité, ni assez de fond pour remplir le vide du temps sans ce que le vulgaire appelle les affaires. Il ne manque cependant à l'oisiveté du sage qu'un meilleur nom, et que méditer, parler, lire et être tranquille s'appelât travailler.
La Bruyère.

Philosophie :
Le vent qui souffle dans les pins fait flotter ma ceinture ;
Dans la montagne je joue de la cithare sous la lune.
Vous me demandez quel est le dernier mot de la philosophie ?
- C'est le chant du pécheur qui aborde la rive.
Wang Wei " (2), notre auteur-traducteur-joueur, nous invite à découvrir en ces temps peu aimables, un écrivain qui l'est fort : Shen Fu, en " Six récits au fil inconstant des jours " - nous pourrions d'ailleurs nous contenter de contempler la beauté de ce titre, si notre curiosité ne nous invitait à ouvrir cet ouvrage qui est un traité de sagesse, de vie, d'amour, de délicatesse, d'art de la peinture, du voyage, du silence, des parfums et de la contemplation - il nous livre sa vie, une autobiographie d'une sage splendeur :

" ... Yun, toute joyeuse, me dit : " Et maintenant que nous avons conquis la belle, comment vous apprêtez-vous à récompenser l'entremetteuse ? " Je lui demandai les détails de l'affaire ; elle expliqua : " J'ai dû manoeuvrer délicatement, car je craignais que Hanyuan ne fûta pas complétement libre ; après m'être assurée qu'elle n'avait personne d'autre en vue, je lui demandai : " Petite soeur, comprenez-vous tout le sens de cette cérémonie d'aujourd'hui ? " " Madame, répondit-elle, vous avezé daigné m'octroyer votre faveur, et cet honneur me comble ; je crains seulement de n'être pas maîtresse de mon avenir ; car ma mère comptait tirer quelque profit de ma personne, et il vous faudra donc agir avec prudence. " En lui remettant mon bracelet, je lui dis encore : " Que ce jade solide dont le cercle est image d'union parfaite et indestructible soit pour vous un gage du futur " à quoi Hanyuan répondit : " Le sort de cette union future est tout entier entre vos mains ", ce qui semble bien indiquer que son coeur nous est déjà tout acquis ; les seules difficultés qui pourraient encore subsister provienne de sa mère ; mais quant à cela, nous aviserons en temps utile. "

" ... Quand on dispose des fleurs dans un vase, il ne faut jamais prendre un nombre pair de tiges ; dans un même vase, on ne placera que des fleurs de même espèce et de même couleur ; veillez à ce que l'embouchure du vase soit suffisamment large pour permettre aux fleurs de s'épanouir à l'aise ; et quel que soit leur nombre, les fleurs doivent toujours jaillir du vase avec élan, sans dispersion ni cohue, et surtout, sans prendre appui contre le rebord du col, - tout l'art est là, c'est ce qu'on appelle, en terme techniques, " assurer une prise ferme. "

" ... En été, quand les lotus commençaient à fleurir, Yun emballait quelques feuilles de thé dans un petit sachet de gaze, qu'elle allait déposer le soir dans une corolle de lotus avant que la fleur ne se refermât, et le matin dès que le lotus se rouvrait, elle reprenait le sachet ; avec de l'eau de source, nous en faisions alors un thé dont l'arôme était d'une délicatesse suprême. " (3)

Veuillez à agir avec vos amoureuses et vos amoureux comme Yun le faisait avec ses feuilles de thé, délicatesse suprême.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Simon Leys / Les habits neufs du Président Mao / Bibliothèque Asiatique / Éditions Champ Libre
(2) Simon Leys / Les idées des autres / Idiosyncratiquement compilées par / pour l'amusement des lecteurs oisifs / Plon
(3) Shen Fu / Six récits au fil inconstant des jours / traduct. Simon Leys / JC Lattès

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