vendredi 4 mars 2011
Visages du Roman (1)
Il se dit, que certains auteurs écrivent avec un oeil sur l'échafaud qui les attend et l'autre sur la foule hilare qui patiente dans la nuit pour assister à leur mise à mort. C'est ce qu'il appelle les scribes du massacre, saisis par l'effroi de leur destinée, par une douleur unique qui est ce fardeau qui finit par les écraser comme un mouche.
D'où vient cette douleur unique, se demande-t-il ? De notre pauvre condition humaine dirait un penseur gascon à la plume d'acier et aux maximes foudroyantes, du " Noir dedans ", ajoute le jeune Thomas Vinau, qui sait visiblement de quoi il parle et sur quoi il écrit :
" Toujours vide et noir dedans. C'est pour ça que la plupart des hommes consacrent toutes leurs forces à ne pas regarder dedans. Ou à oublier ce qu'ils ont vu dedans. Ou à essayer de se retenir de regarder dedans. " (1)
" Nos yeux sont des portes entre le noir dedans et le noir dehors. Notre peau est une feuille de fine pellicule entre le noir dehors et le noir dedans. " (1)
" On voudrait rester collé à l'autre pour effacer l'espace noir et profond qui nous sépare de l'autre. Et on voudrait rester collé à l'autre pour atténuer un peu le noir du dedans qui nous sépare de nous même ou pour le partager pour se le balancer d'un dedans à un dedans. " (1)
" Il faut l'accepter. Le noir dedans de soi. Accepter de vivre avec. Sinon comment vivre avec le noir dedans de l'autre. Comment aimer le noir dedans de l'autre si l'on n'aime pas le noir dedans de soi. Et sans l'autre près de son noir. Il fait si noir. " (1)
Ce " Noir dedans " est court, net et déchirant, comme le recommandait Montaigne, belle filiation.
Ce " Noir dedans " se lit vite, se relit lentement pour mieux s'aimanter à l'oeil et à la peau. C'est un filet d'eau seconde.
Il se dit, qu'il y a chez cet écrivain des strates d'écritures dont il ne livre que les pépites noires, exercice de haut vol littéraire, exercice salutaire pour qui sait lire et relire face au Noir dehors.
Il aime aussi à savoir que ce " Noir dedans " est publié par ce qu'un écrivain et penseur de la Capitale de l'ennuie (2) appela un jour " ma cabane d'édition ", il en possédait une à Biarritz, Distance, où il publia avec un certain talent quelques opus, de son jus et de quelques invités de marque ( Jacques Rigaut - Esnaola - Gracian - Ortega y Gasset - de Séchelles ), les livres sont là, dit-il, en s'en saisissant, et bien là :
" Le jour se lève, ça vous apprendra. " (3)
" La vulgarité ? Une difformité de l'âme, de l'esprit. Est difforme une chose - un être, une oeuvre -, qui, ayant été artistiquement avancée, perd ou a perdu sa forme. " (4)
Autre Temps, autre " cabane d'édition " (5), qui a découvert ce saisissement Noir. Que demander de mieux ?
Peut-être une courte notation d'un écrivain de la Haute-Autriche :
" je suis déjà victime de mon âge " (6)
à suivre
Philippe Chauché
(1) Le noir dedans / Thomas Vinau / Cousu main / 2010
(2) Frédéric Schiffter - dont la " Philosophie sentimentale " ( Flammarion ) est plus que jamais d'actualité
(3) Je serai un grand mort / Jacques Rigaut / Distance / 1990
(4) Lettre sur le dandy / Frédéric Schiffter / Distance / 1994
(5) Cousu main / Avignon
(6) Dans les hauteurs / Tentative de sauvetage, non-sens / Thomas Bernhard / traduc. Claude Porcell / Gallimard 1991
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Merci !
RépondreSupprimer¡Gracias!
RépondreSupprimerVous donnez envie de lire Thomas Vinau.
100% d'accord avec esnaola.
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