" De nos jours, l'amour est en exil, a dit Ravèse, c'est ce qui se vérifie partout où nous pouvons encore poser notre regard. Il n'est d'ailleurs pour s'en convaincre que d'éventer la couche des amants, leurs draps empestent le grabat avec une telle intensité qu'on jugerait presque que c'est l'amour qui est malade. En vérité, l'amour ne s'y trouve pas, on lui a substitué des corps qui sentent la métastase et la charogne, a dit Ravèse, et c'est précisément ce qu'il a de neuf dans cette affaire, c'est précisément dans cette déglingue que nous pantelons à moitié vifs comme des homards en promotion sur les étals de satan. Voyez-vous, si l'on peut affirmer qu'il en est séparé, il n'existe pas pour autant dans un royaume imaginaire d'où il chuterait parfois pour nous cogner la tête, non, l'amour n'est pas une flèche suspendue à l'arc de Cupidon, c'est même tout le contraire, a dit Ravèse, il est la transfiguration d'un corps qui déciderait contre la terre entière que le trépas n'est rien pour lui. Bien sûr, cette décision se vérifie à deux, pourtant cette décision qui est à tous les égards la décision la plus courageuse que l'on puisse prendre, eh bien, cette décision est avant tout la décision d'un corps seul, luttant seul, absolument seul, contre les préventions les plus courantes, et donc contre les préventions les plus ignobles, a dit Ravèse; Testez cette vérité auprès de la canaille humaine, dites dans un de ces dîners mondains où les soi-disant élites sociales se réunissent pour cimenter leur corruption et leur bêtise, dites que vous ne croyez pas au trépas, ou pire, que vous croyez en l'amour, on vous rétorquera incontinent que le trépas est une certitude et que l'amour s'effiloche avec le temps qui assassine. " (1)
Les phrases, souvent, il s'amuse à les faire tourner sept ou huit fois dans sa bouche avant de les écrire, parfois le jeu dure encore plus longtemps. Les phrases dit-il en ces instants, c'est comme un vin de garde, un Châteauneuf du Pape, par exemple, mais il y en a d'autres des exemples ajoute t-il, alors restons en là ! Les phrases donc, ont besoin de l'air intérieur avant de goûter à l'air extérieur. Tenez dit-il, celle là, elle est restée au moins deux jours en bouche, c'est là que sa robe a pris toute sa divine richesse, si vous doutez de l'existence de la robe des phrases, ce qui suit ne vas pas améliorer les choses, ajoute t-il. C'est donc là, que sa robe a pris d'autres courbes, certains, alors ont pu me surprendre la goûtant, la faisant circuler dans son air intérieur, les mains dans les poches, les jambes des pantalons retroussées, les pieds nus dans le sable au ras de l'écume blanche et grise, sur une plage des Landes, dans un espace vide d'humains en mal de vagues à l'âme, et comme il est question de la vie, dans les phrases, et de l'amour, dans ces mêmes phrases, et du diable, l'immortalité des phrases a épousé ma langue, me souffle t-il, ma gorge, mes gencives, mes dents, le rouge intérieur de mes lèvres, mon palet, et même mon nez. Prêt à tout sentir mon nez, m'a t-il dit, prêt en tout cas à sentir ce que ces phrases ont de vie et de joie, alors qu'il conviendrait qu'il sente la mort. Vous avez remarqué a t-il ajouté, que ces humains ne cessent de dire qu'ils sentent la mort venir et l'amour finir, alors que pour ma part, je ne cesse de sentir la vie et la victoire de l'amour. Puis les phrases s'élancent, comme les filles de Pina Bausch, elles dansent les phrases, dans la musique silencieuse du temps apaisé. Puis d'autres phrases sont accueillies, celles-ci par exemple :
" Si quelqu'un peut mettre dix mois de réflexion pour juger son amante - mince problème où il ne donne, en vitesse et en profondeur, que sa propre mesure - il existe au contraire des journée de conflits historiques où il faut savoir juger des facteurs mille fois plus complexes en une heure. Il n'y a pas de progrès cumulatifs garanti dans la conscience, les connaissances, les oeuvres, d'un révolutionnaire - on peut dire aussi : d'un homme, d'une femme. Il y a des embranchements de la vie où il faut tout de suite choisir telle voie, des sauts qualitatifs, des occasions manquées et des retombées. Il ne faut pas craindre les erreurs - qui sont forcément, un jour ou l'autre, inévitables - mais la mauvaise manière de les reconnaître. Certaines erreurs ne sont qu'une perte de temps : le temps qu'elles ont duré. D'autres vous ferment, pour longtemps ou définitivement, des possibilités théoriques et pratiques qui étaient à un moment saisissables. On n'a pas reconnu à l'heure qu'il fallait, par exemple, un moment révolutionnaire, ou une personne, tout un côté virtuel et proche de la réalisation de soi-même. (2)
C'est par une nuit coupante comme un poignard andalou qu'il m'a dit tout cela, toute l'histoire des phrases soumises à son air intérieur, avant d'être exposées à l'air extérieur, cette nuit de toutes les victoires dura un siècle. Un siècle baigné de phrases et de vins blancs de la Mancha, soyeux et épais comme des Capotes et troublantes comme les jambes de nos amoureuses. Nous avons ainsi inventé le siècle d'une nuit du crime inversé. Ces phrases ne pouvaient nous entraîner que sur cet échiquier là, décrit plus haut, nos cavaliers avaient l'allure de rois, nos rois savaient se retirer avant que ne s'écroule leur réputation, la notre était décidément sans faille. Notre chemin de vie passait par quelques bars de nuit où s'affinent quelques révolutions permanentes, alors que ces femmes et ces hommes croisés n'esquissent que leur misérable petit théâtre pornographique qu'ils alimentent de niaises pensées moisies, sur la mort, la vie et l'amour, le diable s'en frotte les sabots, comme le font les taureaux lorsqu'ils s'ennuient un dimanche aux arènes. Quant à nous, nous avions plus que jamais pris le parti de la vie qui incendie la mort.
Que mille dérives accompagnent tes aventures.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Grand Art / Valentin Retz / Gallimard / L'Infini
(2) Guy Debord in Debord ou La diffraction du temps / Stéphane Zagdanski / Gallimard
jeudi 22 mai 2008
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Laissez un commentaire