jeudi 1 mai 2008

La Voix et le Regard


" Écoute ce rossignol
sur la branche naissante ;
comme le plaisir l'envahit
et comme il sait parler d'amour.
S'envolant joyeusement,
fidèle, il cherche son nid
et le doux plaisir qui l'y attend. " (1)

" C.B. - Ce qui me frappe, et qui est amusant, c'est qu'on joue la musique de Vivaldi, de Haendel, de Hasse, et les jeunes sont très intéressés, plus encore que dans les autres générations : Vivaldi parle plus que Puccini. Pourquoi ?
P.S. - Mais parce le XIX ° est un siècle de vieux, et après, ce sont des vieux qui se massacrent les uns les autres. C'est moisi... Aujourd'hui la notion du temps est abolie. Tout est là. D'accord, mais c'est fallacieux. Car " tout est là " veut dire : " rien n'est là " ! Nous sommes les premiers humains qui avons la faculté de comprendre tout ce qui a été fait autrefois, alors que nous n'y étions pas. Voilà une responsabilité extraordinaire. Nous sommes les premiers à avoir une aussi grande information. J'insisterais personnellement sur le mot " jeune ", que vous utilisez, Cecilia, à propos du baroque. C'est une sensation érotique qu'ont les jeunes, c'est une énergie érotique. Érotique, au sens de la singularisation du désir. Vivaldi, c'est l'extase. Mozart aussi, d'ailleurs.
C.B. - Mais alors pourquoi Vivaldi a-t-il provoqué cette extase, non en 1950 mais aujourd'hui ?
P.S. - Parce qu'en 1950 nous sortions d'un des plus grands ravages de l'histoire mondiale, d'une morbidité intégrale : nous venions d'écraser l'humanité, avec tout ce que l'on sait. C'est tout ! Avec des gens comme Deller, tout un négatif était évacué. C'était la vengeance contre la joie ! Idem pour vous.
C.B. - Ce que vous me dite me fait très plaisir. Je viens de passer à la bibliothèque de Turin, et l'on recherche de plus en plus les manuscrits de Vivaldi que j'ai enregistrés dans mon récital pour en faire des intégrales. Comment aurais-je pu imaginer cela ? Et pourtant, c'était un projet assez difficile à mener au départ car ce n'était pas un répertoire populaire : convaincre une maison de disque de faire un disque de musique inconnue de Vivaldi, ça n'était pas évident : on a accepté ça un peu comme un cadeau. " (2)

C'est une déesse, une déesse qui ne s'embarrasse pas du nihilisme dominant, elle a compris qu'il n'avait point de prise sur la musique, d'évidence sur celles là, Vivaldi, Haendel, Mozart, sainte trinité que rien ne peut atteindre, et ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé, pornographies cinématographique et publicitaire, ( les deux faces d'une même bêtise ), mais la musique, cette musique là résiste à tout, elle est inviolable, irrécupérable, elle est bénie des dieux, et Cécilia Bartoli l'a compris d'évidence.

Jamais femme n'aura ainsi chanté, jamais la musique n'aura aussi bien caressé les mots, jamais les mots n'auront été aussi éclatants, chez elle tout est musique, elle embrasse les partitions, elle doit rendre les pianistes fous de bonheur. Écoutez cette vague, écoutez cela résonne de bonheur, d'un érotisme absolu, écoutez la joie, l'art de la joie, écoutez comment chante cet ange là, bien vivante, qui sait beaucoup de chose sur son sexe, Mozart dit-il autre chose dans Cosi ?

C'est le sublime de la contre - réforme, cet art du baroque qui explose et embrasse le ciel d'étoiles et de déesses.

Que mille mandolines bercent ta démarche.

à suivre

Philippe Chauché
(1) Dell'aura al sussurrar - extrait - Cecilia Bartoli - The Vivaldi Album / Il Giardino Armonico / Decca
(2) Entretien Cecilia Bartoli - Philippe Sollers - 27 février 2003 - 16 h / Gallimard / L'Infini n° 84 / Automne 2003

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