lundi 5 mai 2008

Trames


" Comme Laugier, " dont presque plus personne ne connaît le nom ", dirait Richard avec le mépris de ce qui existe pour ce qui n'existe pas, ce qui n'existe pas étant ce dont on n'a pas parlé depuis trois semaines. Je l'entends et le vois lui aussi, Laugier, voix plutôt aiguë, nette : plutôt pâle ; il n'a jamais été enregistré ni filmé, c'est son chef-d'oeuvre, un vrai trou noir littéral... Trois livres brefs, une ou deux photos, tassé, il boit de la bière, il reste enfermé chez lui, il joue aux échecs, " plusieurs illégalités à la fois ", ce sont ses mots. Mystique d'un genre nouveau, hyper rationnel, pile de négativité, il a suicidé la société en lui, pas de martyre, mais seulement une présence, démontrant, par son seul refus, l'irréalité voulue, orchestrée, la falsification permanente. " Ah, Laugier "... Pour quelques-uns, ce nom résonne parfois comme une sorte de jugement dernier redouté, honte, rappel des dates et des dossiers de la corruption générale. Un de ses meilleurs amis a été assassiné, lui non, c'est étrange. Il ne s'est pas tué, ce qui est encore plus étonnant. Il n'est pas non plus devenu fou, malgré le désir explicite et constant de ses contemporains. " (1)

" Avions-nous à la fin rencontré l'objet de notre quête ? Il faut croire que nous l'avions au moins fugitivement aperçu ; parce qu'il est en tout cas flagrant qu'à partir de là nous nous sommes trouvés en état de comprendre la vie fausse à la lumière de la vraie, et possesseurs d'un bien étrange pouvoir de séduction : car personne ne nous a depuis lors approchés sans vouloir nous suivre ; et donc nous avions remis la main sur le secret de diviser ce qui était uni. Ce que nous avions compris, nous ne sommes pas allés le dire à la télévision. Nous n'avons pas aspiré aux subsides de la recherche scientifique, ni aux éloges des intellectuels de journaux. Nous avons porté de l'huile là où était le feu. " (2)
" Kant a beau dire : " Le temps n'a qu'une seule dimension ". Le Programme occidental a beau acquiescer à cette phrase depuis que l'Occident existe, tu as le droit de contester ce mensonge maquillé en évidence.
Oui, tu as le droit de contester la tripartition du passé, du présent et du futur.
Sans entrer dans les colimaçons du délire, quiconque t'impose de recevoir comme une vérité la phrase de Kant cherche à mettre ta ciboule en cage.
La question devient alors : acceptes-tu qu'on mette ta ciboule en cage ? " (3)
Je vis le présent au futur, le futur au passé, et le passé au présent, question de tempérament, d'activisme amoureux.
Je vis l'instant comme une floraison biblique, et l'histoire du temps comme un palindrome rigoureux.
Il faut traverser le temps pour le renverser, et le renverser pour le traverser. Question profondément politique, c'est ainsi que nous entendons le politique. Le temps vif du politique est à notre portée, il suffit seulement d'ouvrir les oreilles et de les désensabler.
Que mille signes du temps éclairent ton regard.
à suivre
Philippe Chauché
(1) La Fête à Venise / Philippe Sollers / Gallimard / 1991

(2) In girum imus nocte et consmimur igni / Guy Debord / Éditions Gérard Lébovici / 1990

(3) L'Axe du Néant / François Meyronnis / L'Infini / Gallimard / 2003

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