lundi 24 mai 2010

Journal Océan (4)

Jamais été aussi loin de Nîmes, c'est ce qu'il se dit, dans l'ovale romain, l'andalou Morante de la Puebla triomphe. Jamais été aussi loin du miracle taurin, du temple, de l'état de grâce, de la saveur et du savoir, de la musique silencieuse et profonde du toreo, qui n'est autre que celle de l'amour, tel qu'il l'entend, dans le silence éblouissant d'un regard qui s'allonge comme une naturelle.

Jamais été aussi loin de l'Admirable, c'est ce qu'il écrit dans la douceur du matin, et pourtant si près de son invisibilité choisie. Saisi par un mouvement, une peau, un éclair. Les éclairs de vie, sont des éclairs d'amour, il n'en va pas autrement, pense-t-il, de la phrase que l'on avance comme une muleta dans le croisement vrai du Temps retrouvé.

Jamais été aussi loin de la rue aux vierges perchées, alors, dans le silence, il lit, debout face à l'Océan, sur son ponton :

" Elle m'a parlé.

Elle m'a dit quelque chose de dansant, au milieu du bruit, j'en suis sûr, on dirait qu'elle me parle, je suis sûr qu'elle m'a parlé.

Cheveux d'or.

On dirait une statue, les plis de sa robe au ralenti sont en pierre, elle nage dans l'air, elle est loin.

On dirait qu'elle nage.

Elle veut certainement me dire quelque chose, elle le dit sans voix, en articulant les mots lentement, exagérant le mouvement des lèvres, mimant les voyelles, oh, ah, hi, les yeux agrandis.

Je ne comprends pas les mots, c'est à moi qu'elle parle, c'est sûr, mais pas à la bonne vitesse, étiré, grave, trop lent, sombre, elle écarquille les yeux en hochant la tête pour me dire oui, elle articule oui pour moi, c'est pour moi, je l'enlace, je la soulève, je la déplace, je la prends, je la porte, je respire l'air qui sort de sa bouche, je lui embrasse le ventre, ton ventre est une bouche, etc.

Elle me parle. " (1)

Jamais été aussi silencieux, il ajoute, jamais été aussi éloigné du vertige du Temps et de sa Courbe. Morante à Nîmes, Cadiot ici dans l'écho des pins décapités.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Retour définitif et durable de l'être aimé / Olivier Cadiot / P.O.L.

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