lundi 10 mai 2010

Le Corps Musical

Pablo Ruiz y Picasso 1881 - 1973


" Le grand torero se manifeste par sa façon de dominer le taureau, dont il révèle aux spectateurs les qualités. De même, par un effet de réciprocité, c'est la psychologie de ses personnages, façonnés à même la toile, qui nous donne à comprendre et ceux-ci et l'artiste. Pour deviner la compréhension et la tendresse de Jacqueline, il suffit de regarder une oeuvre qui la représente, ne serait-ce que cette silhouette si légère dessinée pour une céramique. Voilà la grande, l'authentique vérité de l'artiste : le message, le duende ; et Picasso a le duende, parce qu'en cela il est andalou et peint comme les grands peintres castillans. Ce mélange est en fin de compte l'essentiel. Ce mélange est en fin de compte l'essentiel. Comme mère, l'Andalousie, comme sceau de paternité, la Castille. Tout le reste vient de surcroît. " (1)

Le Corps Musical, c'est à cela qu'il pense en ce matin gris tremblant, et au duende. Le Corps Musical et le duende qui en surgit. L'amour, pense-t-il, a là des sources inépuisables, encore faut-il qu'il sache les saisir, qu'il s'écoute. Un corps qui s'écoute est un corps qui s'accorde. Un corps qui s'écoute est un corps qui entend l'autre corps. Tout est affaire d'oreille disait quelque part un écrivain scissionniste à propos du peintre des Temps.

Le Corps Musical, pense-t-il, est un corps offert au Temps, qui sait d'un tour de peau retourner le diable et ses malédictions.

Il sait beaucoup de choses sur le Corps Musical de l'Admirable absente.

Il écrit par exemple :

Son absence a fait naître un vide, un trou dans le Temps, dont on ne peut remonter qu'en accédant à une nouvelle résurrection de l'Etre, et cet état est d'une autre nature que celle communément admise. La résurrection doit s'entendre comme une musique, c'est d'une oreille nouvelle que l'on peut désormais voir le mouvement du Temps et se défaire du vide et des faillites du corps et des mots. Il se dit, mon oreille c'est mon regard, l'entendre, c'est la voir, et voir c'est toucher, et ces "impositions" font des miracles.

" Voici quelques années, un concours de danse avait lieu à Jerez de la Frontera. Eh bien, c'est une vieille de quatre-vingts ans qui enleva le prix à de belles femmes, à des jeunes filles à la ceinture d'eau, uniquement parce qu'elle savait lever les bras, redresser la tête et taper du talon contre l'estrade. Sur cette assemblée d'anges et de muses, éblouissante de beauté et de grâce, celui qui devait l'emporter, et qui l'emporta, fut ce duende moribond qui traînait à ras de terre ses ailes de couteaux rouillés. " (2)

Le Corps Musical fait et fait faire des miracles. Croire, pense-t-il, à tout cela, n'est pas sans danger en ces temps de surdité dominante.

Rendre un Corps Musical c'est, ajoute-t-il, l'unique raison d'être, tout le reste n'est que bavarde séduction. Vérifiez, vous entendrez et donc vous verrez !

à suivre

Philippe Chauché

(1) Pour Pablo / Luis Miguel Dominguin / traduct. George Franck / Verdier

(2) Théorie et jeu du " Duende " / Poésie III / Fédérico Garcia Lorca / traduct André Belamich / Poésie/Gallimard


1 commentaire:

  1. Pour bien entendre le corps musical, il faut pratiquer la posture de l'action juste et cela peut se faire grâce à la concentration dans le ici et maintenant. Saisissez le corps dans l'instant avec tous vos sens et vous aurez de toute évidence un retour satisfaisant.
    Picasso était une bête de concentration, certains toreros et danseurs de flamenco aussi, on ne peut atteindre le duende qu'en commençant par être vraiment présent au monde. Autrement dit, pour pouvoir appréhender les fantômes (une des traduction du "duende" que j'aime bien) il faut d'abord se confronter à la réalité. On ne peut traverser le miroir qu'en se cognant d'abord à lui. Ce n'est pas inné chez tout le monde, mais je suppose que cela se travaille pour devenir peu à peu un réflexe conditionné. Ce travail en vaut a priori la peine.

    RépondreSupprimer

Laissez un commentaire