vendredi 25 février 2011

L'Arc et la Flèche (5)



Il note qu'il y a tout d'abord une phrase :
" Un jour, elle qui n'écrit presque jamais, elle m'envoie une lettre. " (1) puis une autre :
" J'ouvre son enveloppe, j'aime recevoir du courrier à l'ancienne, et cette fois mon nom et mon adresse ont été tracés avec de belles lettres calligraphiées de son écriture à elle, une écriture de travailleuse manuelle avec des majuscules élancées et ornementées comme des lettrines. " (1), et une troisième, une quatrième, c'est ce qu'il entend, les phrases faute de les entendre, on ne peut les voir :
" Je sais que ma vie va recommencer, qu'enfin je vais vivre à nouveau, mes cheveux et mes ongles vont se remettre à pousser, la chair va s'épaissir autour de mes os, mes poumons vont se gonfler, mon coeur va battre la musique comme un roulement de tambour, mes yeux vont s'ouvrir dans tout leur éclat et leur couleur, redevenir marron et vert, mes joues vont se remplir, mes lèvres s'affiner, se plisser, et je vais sourire, je vais rire, on entendra de très loin de bruit de ma gorge déployée. "(1), une lettre qui ouvre sur une femme retrouvée, pense-t-il, laissée, seulement laissée, pas un instant abandonnée, il y a dans ces deux décisions capitales une grande différence, laissée seulement, et qui revient par les mots, la lettre est une formule magique pour un amour retrouvé, une manière d'aventure qui commence ; les lettres des femmes et les phrases des romans sont des aventures à venir, question de musique encore une fois, celle-ci vient de loin, question de couleurs aussi, écrire est parfois une affaire de glacis, ils vont ici du plus clair au plus sombre, comme dans " voyage humain ".
Il reprend les phrases :
" Ce ne sont pas des caresses, ce sont des contacts, le toucher pur, tu es toi, je suis moi, mais la barrière n'est pas absolue, il y a des passages, des moments fugitifs, le temps développera le théorème, tu verras. " (1) et celle-ci s'élance, les tenants du petit roman familial devrait la graver sur le fronton de leur pauvre condition, une autre enfin vient :
" Mon rêve caché, depuis des siècles, c'est que mon fils s'appelle David et que ma fille s'appelle Sarah. Mais elle ne veut pas de prénoms juifs et je ne réussi pas à lui prouver la transmission souterraine du judaïsme dans ma famille. "(1), et celle-ci pour vérifier la précédente, les phrases dans les beaux romans, s'éclairent l'une l'autre :
" Elle n'a rien de particulier contre le judaïsme mais étant petite elle subi l'endoctrinement brutal du catéchisme, et depuis elle rejette en bloc toutes les religions sans exception, bouddhisme compris : toutes les religions pulsion de mort, dit-elle. Je proteste que la Bible est en dehors des religions et se sauve par la littérature, que le judaïsme n'est que lecture et mémoire, un exercice de méditation et de transmission, une pratique de lecteurs et d'écrivains, mais elle ne veut rien savoir. " (1), nous y sommes, pense-t-il, en une phrase Marc Pautrel saisit ce qui désaimante les humanoïdes en ces Temps, et les décristallise.
Ce voyage humain se termine dans l'attente, entre deux conseils aux futures mamans et trois affiches, attente de la belle amoureuse prise en main par un médecin, une étape du voyage qui semble mal tourner :
" Sur le mur qui me fait face on a accroché une grande reproduction de Magritte, sous verre. Je ne veux plus jamais vivre ça. " (1)
La vie parfois mène à ça, une certaine peinture aussi, Matisse avait ouvert le bal, Magritte le referme, là encore question de musique, et maintenant : Roman.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Un voyage humain / Marc Pautrel / L'Infini / Gallimard

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