vendredi 18 mars 2011

Visages du Roman (6)

En refermant le petit livre, il se dit, je connais au moins trois femmes qui ne le liront jamais, ou au mieux vérifieront en le lisant, que décidément, je ne méritais guère leurs attentions, il les entend même maugréer, que les états d'âme d'un quinquagénaire troublé par de jeunes asiatiques, ne peuvent intéresser qu'un autre quinquagénaire pour le moins dérangé, pas étonnant d'ailleurs ajoutera la plus âgée des trois, pas étonnant qu'il porte tant d'attention à la " bouillie " de Houellebecq, cet homme poursuivra la brune, est un pervers qui s'ignore, un réactionnaire douteux, à l'image de son Paul Claudel, qu'il ne cessait de lire lorsque pour mon malheur j'acceptais de partager son lit et sa table, et enfin coup de grâce de la plus agressive des trois drôlesses, cet individu est un macho de la pire espèce, voilà bien, ajoute-t-il, des remarques qui méritent largement l'heure passée en compagnie de Come Baby (1).

" Astrid au Grand Véfour pour le déjeuner du prix Prince Pierre de Monaco : embrassée, caressée et pénétrée par moi pendant un an et demi ( du début 2006 au milieu 2007 ), elle est maintenant posée comme une chaise parmi des gens dont le connais, par leurs articles ou leurs livres, les faiblesses et les obsessions. Elle est journaliste dans un hebdomadaire people. Je regarde à travers elle mon récent passé amoureux et mon ancienne vie littéraire. " (1)

Il a souligné au crayon sec les deux premières phrases du petit livre et noté dans l'étroite marge blanche à gauche : " je suis enfin en bonne compagnie, la bombe à retardement est enclenchée, les âmes fades vont y perdre les pauvres certitudes qu'il leur reste ", et plus loin toujours dans la marge blanche : " il convient de regarder à deux fois les mollets des femmes que l'on séduit ", en face de ces six autres phrases :

" Tout va mieux en moi depuis qu'Astrid a quitté le Véfour. Sa présence m'a toujours pesé, y compris quand nous habitions ensemble. Je pensais qu'en me séparant d'elle je serai libéré de ce poids mais il me retombe dessus, plus lourd qu'avant. Tout à l'heure, quand elle est entrée dans le restaurant, j'ai regardé ses mollets blancs sortis de sa jupe noire trop longue et j'ai su pourquoi nous n'étions plus ensemble. C'était des mollets étrangers, malheureux, incertains. Invivables. " (1)

Et puis aussi, plus loin, dans un éclat de rire, qui lui rappelait des phrases de Frédéric Pajak, dont La Guerre Sexuelle (2), ne quittait plus son bureau depuis sa première lecture, notamment pour ce passage :

" Nanette, au comble de l'excitation, approcha son con jusqu'à ma bouche. Je le dévorai goulûment. Elle pelotait les mamelles d'Auque qui pelotait les siennes. Elles se tenaient accroupies sur moi, face à face. C'est alors qu'un cri déchirant s'échappa de ma gorge. Des larmes jaillirent de mes yeux. Je me tordai de douleur : une crampe atroce me paralysait le mollet. ".

Il trouva amusant de rapprocher les deux livres, s'imaginant dans un film des Marx Brothers :

" A la table des invités du patron, il y avait des acteurs et des chanteurs, mais tout au long du dîner, je ne parlai qu'à la jeune femme, entre deux verres de vodka. La vodka est l'alcool après lequel il est impossible de ne pas embrasser votre voisine de table sur la bouche, surtout si on vous joue du violon tzigane dans l'oreille. " (1)

Mais aussi, pensant au lumineux moustachu de la Promenade des Anglais :

" Les trois principes de la philosophie de la vie thaï : chaï yen ( n'aimer personne ), choei ( maîtriser ses émotions ), kreng chaï ( rester modeste ). Il se rend compte qu'il a essayé toute sa vie de les respecter sans savoir qu'ils étaient thaï, et surtout en dépit des encouragements de ses contemporains, femmes et amis, à faire le contraire : aimer intensément autrui, exprimer sans cesse sa colère et son indignation, bousculer tout le monde pour se retrouver seul devant les caméras. Il regarde Aom prendre avec délicatesse une bouchée de poisson ou de riz. Il boit du vin rouge thaï qu'il a choisi parce qu'elle a dit qu'il venait de sa région : le nord-est du pays. " (1)

Celle ci délicieusement brûlante :

" Les petites choses qui commençaient à m'énerver chez Astrid : la lenteur avec laquelle elle beurrait et mangeait ses trois ou quatre tartines du petit déjeuner, son air froissé lorsqu'elle tapait un article ou une page de roman sur son ordinateur, sa volonté d'avoir une nurse au cas où nous aurions un enfant, sa bibliothèque encombrée de livres qu'elle n'avait pas lus et de livres qu'elle n'avait pas aimés, les chaises vides de la table pour dix où nous mangions à deux dans son appartement, et bien sûr son mal au dos qui nous suivait partout, troisième larron à la Tourgueniev dans notre couple Viardot. " (1)

Et enfin pour déplaire définitiement aux admirateurs d'Onfray, ajoute-t-il :

" Prostituées : seules femmes à être soulagées quand on tripote quelqu'un d'autre devant elles, autant de taf en moins. " (1)

à suivre

Philippe Chauché


(1) Come Baby / Patrick Besson / Mille et Une Nuits / 2011

(2) La Guerre Sexuelle / Frédéric Pajak / Gallimard / 2006

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