samedi 6 septembre 2008

Rien




" ... D'illustres assemblées ont souvent été convoquées pour Rien, et se terminées à Rien. Combien de fois a-t-on vu de grands hommes privés de leurs emplois pour Rien, et remplacés par d'autres qui avaient moins de mérite que Rien ? Combien de contestations tous les jours et de querelles sur Rien ? L'homme de la ville, l'homme d'Etat, l'homme de guerre, les philosophes même font souvent grand bruit pour Rien. Les courtisans ne se donnent-ils pas sans cesse bien du mouvement pour Rien ? Les ambitieux ne se tourmentent-ils pas, et ne tourmentent-ils pas éternellement les autres pour Rien ? Les envieux aperçoivent des Riens dans leurs voisins, et ne voient pas une poutre qui leur crève les yeux... Toute cette agitation du monde, dit un auteur, noble Vénitien, tout ce flux et ce reflux des peuples dans les villes, toute cette foule d'hommes, de femmes, d'enfants, de laquais qui courent comme des fous par les rues ; tous ces gens qui se poussent, qui se battent, qui s'injurient, qui se saluent, qui s'embrassent ; les carrosses qui roulent, les fardeaux qu'on porte, qu'on traîne, les maisons qui tombent et qu'on relève, les palais que l'on bâtit, le bruit des armes, les cris et les clameurs de la populace, et mille autres choses qui sautent aux yeux, sont les effets et les jeux de Rien. Le pouvoir de Rien est extraordinaire : un Rien nous fait pleurer, un Rien nous fait rire, un Rien nous afflige, un Rien nous console, un Rien nous embarrasse, un Rien nous fait plaisir ; il ne faut qu'un Rien pour remonter un pauvre homme, il ne faut qu'un Rien pour le renverser... " (1)

Ce petit ouvrage attendait depuis 1861 d'être réédité, il dormait sagement disent les éditeurs dans la réserve de la bibliothèque Carnegie à Reims, il était là pour Rien, ce qui vous en conviendrez est beaucoup, et pour pas grand chose, il est à nouveau lisible. Qu'elle plume, qu'elles attaques vives et définitives - nous sommes au début du 18 ° siècle, avant que l'ancien ne soit remplacé par le nouveau régime, le petit opuscule est édité la première fois en 1730 -, quel humour pour Rien et la défense du Rien. Cet homme est un peu chinois, le rien c'est déjà beaucoup, et dans le rien il y l'ombre du tout. Pour qui goutte l'absurde et le définitif, pour qui le Rien fait sens, et qui voit dans le Rien, quelques petits Riens, ce livre tombe bien. En ces temps de petites choses circulaient ainsi à Paris et dans d'autres cités du Royaume, nées de l'imagination de quelques anonymes, le Roi n'y voyait Rien, les révolutionnaires subirent le même sort, mais la police des lettres veillait, ce n'est Rien, que cet éloge du Rien, pas de danger, dormez tranquille. Pas si sûr finalement :

"... Pour moi, plus sage ou plus fou, comme il plaira au redouté lecteur de me nommer, selon le juste droit qu'il en a acquis en m'achetant, je dédie mon Eloge de Rien à Personne. Je ne doute pas qu'une pareille dédicace ne révolte bien des gens, qui accoutumés à n'approuver que leur propres inventions, ont toujours des dispositions prochaines à blâmer celles des autres. Que cet auteur fantasque, diront ces censeurs pointilleurs, entend mal ses intérêts ! " (2)



Le livre est minuscule, comme un Rien imprimé, il a l'épaisseur d'un carnet de rendez-vous dont les pages n'auraient pas été décollées, il peut ainsi le glisser sous l'oreiller sans risque de troubler son sommeil, dans la poche intérieure de sa veste en toute discrétion, il n'est Rien, Rien qu'un amusement ? A voir.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Anonyme / Eloge de Rien / Allia
(2) d°

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