vendredi 27 novembre 2009

Le Paradis de la Vie (2)



Le visage lui est apparu, net, clair, éclatant. Il l'a fixé longuement avant que la nuit ne l'efface. Le visage est resté imprimé dans son regard, sur sa peau, il est ce Paradis de la Vie.
Le visage, il le regarde, et laisse ses éclats se glisser sur sa peau, s'y poser comme un baiser de déesse, comme une sonate pour flûte et clavecin de Jean-Sébastien Bach. C'est un saisissement, et ce saisissement ouvre les portes du Temps présent, passé et futur, c'est ce qu'il se dit.
Le visage de la femme embrasse son épaule, il écoute la flûte et le clavecin, les deux jeunes hommes sont en accord parfait avec le vieux Bach (1), la main de la femme se pose sur sa joue, il ferme les yeux et accompagne cet éblouissement, rien ne m'est plus nécessaire, pense-t-il, que la musique de Bach, le regard de la femme s'est fondu dans le ciel bleu grisé, il ne fermera plus jamais les yeux, c'est ce qu'il écrit dans l'hiver qui le saisit, il ajoute, le Paradis de la Vie est né des nuances de son visage.



Il n'a pas ouvert un livre depuis dix jours, et se laisse envelopper par leur présence. Il pense que les livres sont un Fleuve et des arbres, et que son seul regard les fait vivre, il ajoute que le visage des femmes enflamme les livres, que leurs mains les enluminent, mais aussi, que dans son regard il lit tous les livres qui font chanceler son lit. Il pense aussi que le Paradis de la Vie traverse son corps, comme un regard qui reçoit la vie d'un dessin de Matisse. Il se dit qu'il lit à travers sa peau, les livres qu'il n'a jamais écrit, mais aussi que son seul visage est une bibliothèque de Nag Hammadi, que son corps connaît enfin la résurrection de la vie. Il la regarde dormir et se dit, le monde appartient aux hommes qui savent ainsi les regarder. Le plus légèrement du monde il dépose un baiser sur son épaule adorée. Sa respiration s'imprime sur ses lèvres, il lui sourit, et il sait qu'elle le voit dans sa nuit qui est un jour permanent et joyeux, il se dit alors, " toutes tes nuits ma douce amie seront ainsi aimées, c'est ce que je te souhaite. "

" Jésus a dit : " Si la chair est advenue à cause de l'esprit, merveille ! Si c'est l'esprit à cause du corps, merveille des merveilles ! " (2)

Il est sorti en chemise dans la rue, il ne sentait rien, il a même un peu remonté les manches sur ses avant bras, il ne sentait rien. Il a alors pris la rue de la Synagogue, tout était silence, tout était douceur en ce mois de novembre. Une étoile a traversé le ciel, et son éclat s'est figé dans son regard. Il s'est dit, c'est ainsi que les déesses s'invitent. Il a poursuivi son chemin, traversé la place Saint Pierre, les pavés s'ouvraient sous ses pieds, il a posé sa main sur la pierre blanche de l'église, y laissant sa marque, comme il l'avait laissée son épaule ronde lorsqu'elle dormait dans les éclats du Paradis de la Vie. Il est resté longtemps face à l'église. Une larme a glissé sur sa joue. C'est une larme de joie, s'est-il dit, une larme de vie, laissons les larmes de mort aux morts.

" La chambre était colorée de gris lilas. Clarine, allongée sur le lit, écartait ses jambes. Elle souriait : " Qu'est-ce que tu vas lui faire à ma chatte ? " Je me suis approché, je l'ai contemplée en tenant ses jambes bien haut ; le petit bracelet d'émeraudes cliquetait au-dessus de ma tête. J'ai dit : " Je crois que tu as une chatte heureuse. " Oui, a dit Clarine, ma chatte, elle est très douée pour le bonheur. La beauté fauve, presque rousse, la beauté renarde de sa chatte vibrait dans la nuit. " (3)

Dans la nuit tout était là, net, clair et éclatant. Il s'est dit, je peux encore marcher des années, les déesses heureuses me protègent.


à suivre

Philippe Chauché

(1) Bach / Complete Chamber Music for Flute / Jed Wentz - Michaël Borgstede / Brillant Classics
(2) Évangile selon Thomas / Ecrits gnostiques / La bibliothèque de Nag Hammadi / traduct. Jean-Marie Sevrin / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard
(3) Cercle / Yannick Haenel / L'Infini / Gallimard

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