Le vide se contemple seul.
J'évitais donc d'être accompagné de quelque jeune amoureuse aux seins océaniques et au regard de diva abandonnée et suicidaire. Je me faufilais entre les roches, les os de baleine, et les planches de surf brisées, tirais de la poche de mon veston une fiasque de whisky, et offrais ce divin breuvage au Moine de la Roche Plate :
"... A Biarritz, le commerce le plus prospère est celui des cartes postales. Comme les chefs d'oeuvre de la peintre, elles rendent visible l'invisible. Aucun touriste, ni, d'ailleurs, aucun Biarrot, ne voit ni ne verra ce que montrent ces images : la ville, en son entier, bordée par ses plages, ces naïades hollywoodiennes dénudées et allongées sur le sable, ou encore ce surfeur solitaire tranchant de sa planche le bleu de la vague. Ces vues d'un Biarritz utopique sont en vente partout. On les fait tourner sur leurs présentoirs. On les choisit avec soin. Photos-souvenirs de moments non vécus, elles témoignent qu'on s'est bien rendu nulle part, destination de tout départ en vacances. Chaque été, j'en achète un lot pour y griffonner des divagations, des S.O.S., des imprécations, des prières, des déclarations d'amour ou de guerre, des messages obscènes, que sais-je, mais je ne les adresse à personne. Plus tard, peut-être, je les rangerai dans un classeur. Je l'intitulerai : Album d'un ego triste. " (1)
" Sur le marbre de sa tombe, Thomas Hobbes fit inscrire cette boutade ; " Voici la seule pierre philosophale ". Pour amener les gens à la méditation métaphysique, pas de meilleur moyen que de les obliger à trouver les mots de leur épitaphe. " (1)
" J'aime tellement m'écouter parler, que je rêve de ventriloquer mes contemporains, mes interlocuteurs, mes proches, comme les romanciers ou les dialoguistes le font avec leurs personnages ou leurs interprètes. Le bonheur d'entendre de la bouche des autres, en polyphonie, une pensée unique, la mienne. (1)
Lorsqu'il m'arrive aujourd'hui de passer du jour au jour dans les rues de la ville des martinets, je ne m'occupe que de moi, et laisse les sollicitations charnelles à leurs propres décombres. Les vierges perchées me saluent de l'auréole, les Papes joyeux m'offrent parfois une coupe de vin de Chateauneuf du Pape, les chiens m'évitent, les chats me surveillent de la griffe, les rats sont pétrifiés, tous savent que je ne pense qu'à une chose, faire trois fois le tour de la ville sans ravitaillement et sans respirer, et c'est à n'en pas douter une forme d'hygiène mentale qui me réussit.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Frédéric Schiffter / Traité du cafard / finitude
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