samedi 28 juin 2008

Les Heures d'Aimer



" Nous embarquons. Constance, voici votre cabine, reposez-vous, nous nous retrouverons sur le pont un peu plus tard. Je vous montrerai le large et le soleil qui s'y cache ! Nous voilà embarqués pour traverser le siècle. Laissons derrière nous leurs cris, leurs dénonciations, renoncements, allégeances, luttes, grèves, violences, ambitions, soumissions, révoltes, dollars, euros, yens, livres, lingots, leurs tableaux, enfants, journaux, bibliothèques, jouissances, malaises, musées, usines, corruptions, films, dénonciations, humiliations, télévisions, leurs héros, tout ce bestiaire qui les hante. Nous voguons vers la Grèce... Voici Constance nue, les yeux dans le hublot de la cabine. Tatiana envahie par le roulis de mes reins, qui tangue, se penche un peu en avant. Constance rattrapée par une houle céleste. Tatiana qui nage, fait la planche, plonge, coule, me happe, m'avale, me livre son coeur. Constance jouit au large, dans la nuit qui nous conduit vers les îles, qui déploie ses ailes sur mon ventre. Tatiana avide d'improvisations dans ma lave. Extase du temps, temps suspendu de l'extase. Nous devenons monstres marins, coquillages, algues transparentes, mérous imprudents, thons miroirs, poissons chats, dorades, poissons pilotes, élégies d'écailles et d'éclats d'eau. J'écris à l'encre marie notre céleste jouissance. " (1)
Il ne l'avait pas remarqué tout de suite, il a fallu qu'un soir elle lève les yeux de la fenêtre du sud pour le découvrir, incrusté dans la pierre, brûlé par le soleil, lavé par la pluie et le mistral. La journée il offrait ses flèches noires pour nous dire si le temps était venu, si vous nous accordions à ses nuances et ses mélodies. Elle poussa l'investigation jusqu'à déchiffrer ce que les siècles tentaient d'effacer, les heures d'aimer, ce poste d'observation du temps gagné misait lui aussi sur l'amour, il en fût heureux.
" Cette nuit-là fut prodigue en éclairs, de beaux éclairs comme l'été sait en produire ; et à peine le spectacle achevé, un léger roulent de tonnerre s'éleva du désert, formant une mince croûte ininterrompue à la surface mélodieuse du silence. Puis une fraîche ondée survint, pure, bienfaisante, et l'ombre aussitôt se peupla de silhouettes se hâtant à l'abri des salons illuminés, robes et pantalons relevés au-dessus des chevilles, parmi le brouhaha des voix et des exclamations de plaisir. Les lampes imprimaient un court instant la nudité des corps sur les étoffes transparentes qui les recouvraient. Quant à nous, nous nous dirigeâmes sans un mot vers la tonnelle, derrière les rangées de fleurs en pots, et nous nous assîmes sur un banc de pierre sculpté en forme de cygne. " (2)
Il passait ainsi son temps entre deux coups de vents à se plonger longuement dans les eaux tumultueuses des écrivains voyageurs, des navigateurs du verbe immobile, des solitaires amoureux, des moines rieurs, des danseuses joueuses, il en revenait chargé d'or.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Esquisses du Bonheur / Philippe Chauché / roman à paraître dans mille ans /
(2) Le Quatuor d'Alexandrie / Lawrence Durrel / Buchet Chastel

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