vendredi 2 avril 2010

Plénitude de Pleynet

Nous y sommes se dit-il, c'est là que se joue l'acte le plus troublant qui m'occupe ce soir. Il allume une cigarette américaine, et porte à ses lèvres un petit verre de Nikka Whisky et laisse la musique de Mozart flirter avec ses yeux plissés par quelques défaillances (1). De la fenêtre de sa tour, il aperçoit quelques oiseaux détachés du Temps qui jouent dans les hautes branches du platane de la synagogue. Mais toujours, ajoute-t-il, point de martinet dans cette rue des Illuminations. Le livre est devant lui, sur le bureau laissé là par un homme de qualités. Le livre ouvert ou fermé, c'est comme on le désire, le livre livré au Temps joyeux de sa plénitude. Il se dit, je sais durablement à qui je l'offrirai, et cela ne regarde personne d'autre que moi, comme d'ailleurs le vol de Plénitude des martinets. On offre un livre, comme l'on offre un vol d'oiseau un soir de vendredi Saint, nuit de la Passion, nuit des Passions, c'est le même accord musical, à entendre aussi du côté du corps et des mots, c'est la même chose, il suffit de le savoir et tout s'éclaire, et tout s'élève.

Plénitude de Marcelin Pleynet. Le titre lui est apparu comme un visage. L'apparition d'un visage est une chose étrange, une magie blanche, qui vous saisit comme un baiser, s'en défaire c'est se défaire du Temps et de l'écho permanent de sa Courbe. Un visage est toujours une apparition, ce livre est une apparition vibrante dans la lumière musicienne de Venise, dans la lumière qui délivre des tentations de littérature enchaînée.

Liberté de Marcelin Pleynet, comme jamais peut-être, pour qui connaît un peu ce que l'écrivain nous a déjà offert. Plénitude de la liberté de Marcelin Pleynet, il suffit pour s'en convaincre de lire et de lire encore, recommencer est toujours un acte nouveau. Il ajoute, un corps aimé choisi toujours le corps qui l'aimante, il en va de même du corps absent, il embrase à distance chaque pensée et donc chaque phrase. Plénitude de l'absence, note-t-il.

Liberté de cette Plénitude, note-t-il, ouvrons le livre, comme nous ouvrons nos bras au Mouvement de l'Instant :

" Un voyage, une traversée... Combien de fois déjà, ce passage, cette traversée, cette certitude ? Cette vision à travers les écrans... Cette présence à moi-même vivant de l'autre côté. " (2)

" J'avais devant moi une porte que personne ne peut fermer... " (2)

" Oui je crois que l'âge d'or et de sentir est en moi. L'esprit n'agit que sur les saints... On croit que je suis fou... " (2)

" En ce début d'aprés-midi le canal de Giudecca brûle de tous ses feux. Le soleil d'aplomb... Toute la lumière dans les yeux... La façade restaurée du Redentore... Le Christ au sommet de la coupole, dans le bleu tranchant... la Vierge Marie, en vertu théologale, domine le fronton central... blanc dans le blanc dressée... aveuglante.
On n'y voit que du feu... De l'autre côté... l'intant brille. La lumière partout est intérieure. " (2)



" Qu'est-ce qui retarde le départ ? L'embarquement est prévu... Nous sommes embarqués... de Breton à Rimbaud... Et pour tant d'autres. " (2)

" Mon corps s'engage dans sa musique... Il nage... Comme les éléments, le soleil, l'air et l'eau... la lumière et le vent, que pousse, soudain dans l'air, la suite cristalline et envahissante des cloches. " (2)

" Nouvelle traversée de l'exposition de Rosa Alba Carriera. Il n'est pas de meilleure, de plus noble, de plus belle compagnie... Littéralement de plus charmante. " (2)

Il se dit, il faudrait, ici tout recopier, mot à mot, phrase à phrase, n'oublier personne - Pound, Nietzsche, Céline, Proust, Sollers, Rimbaud, Matisse, Lautréamont, Cézanne, Pleynet, il ajoute, ce livre est un miracle, mais les miracles ne s'offrent qu'aux voyants, vérifiez si vous voyez, et l'on en reparlera.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Concerto pour Piano et Orchestre en ré mineur / Wolfang Amadeus Mozart / 1756-1791 (?) / Wiener Philharmoniker / Claudio Abado / Friedrich Gulda Piano / Deutsche Grammophon / 1975
(2) Chronique venitienne / Marcelin Pleynet / L'Infini / Gallimard

2 commentaires:

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  2. Désolée pour le "s" à "dictionnaire" qui s'est infiltré là, je ne sais pas comment !
    Peut-être aussi un peu confuse, de paraitre aussi confuse et pourtant si claire dans ma tête, du moins je le crois.
    Croire, ou ne pas croire, en ce vendredi saint, est plus que jamais de circonstance !

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