vendredi 15 avril 2011

Visages du Roman (22)



" Cézanne a fait un petit tableau : Une moderne Olympia ( 1873 ), il voulait rentrer dans l'Olympia ! Mais on n'entre pas dans l'Olympia ! ... On reste dehors. C'est ce que la foule a senti. C'était l'époque où tout le monde voulait des nus de Cabanel... Les bourgeois désiraient des nymphes sur des rochers... comme dans les restaurants de Paris à la Belle Époque !... Vous voyez le scandale ? Ce n'est pas de ça qu'il s'agit. La société toute entière passe son temps dans le " fausse-femme ". Le fausse-femme, c'est vraiment l'oblitération de la sensation la plus fondamentale que l'on peut avoir du corps humain, et de son propre corps qui échoue, ou pas, dans cette dimension-là. " (1)

Si, note-t-il, on ne peut rentrer dans l'Olympia, le tableau peut par contre nous traverser, c'est peut-être ainsi que s'entendent les tableaux importants, dans cette traversée.
Ils ont besoin de se saisir de notre regard, je ne sais plus qui disait, que jamais nous ne regardons les tableaux, mais ce sont eux qui nous regardent. C'est d'autant plus criant, ajoute-t-il, pour l'Olympia, on pourrait dire que le modèle regarde le peintre, certes, mais, l'attraction magnétique du modèle représenté va bien au-delà, et c'est la traversée, évoquée ici.
Cette politique du regard est autrement plus charnelle, que celle qu'ici et là, on veut nous faire admettre.
Misons, un coup de dès, que ce constat s'applique à la littérature, et nos manières de lire s'en voient à jamais transformées.




" Montrer la parole sortant des mots. Faire la pensée visiblement traverser l'air, rendre le langage ardent, c'est-à-dire d'abord le montrer matériel. L'air et le langage : montrer leur amour, leur croisement combustif. Ouvrir les mots comme des fruits, en offrir la chair irriguée, traversée, évidée, fléchée de souffles... Le monde physique est dansé. Il est beau que le mot attraction nous mène à la fois au cirque et aux planètes... Contrairement à ce qu'on croit, la nature va par sauts, Alarme ! Alarme ! Attraction des langues. Alarme ! Alarme ! Alarme ! Alarme ! Les acteurs qui brûlent bien les mots jusqu'à la cendre rendent le temps inattendu , a-horaire, in-divisé, circulaire-pulsif. Ils nous restituent le temps en volutes, en bouffées, en nourriture et en rien : sur le bûcher. La scène est la croix du langage. " (2)

Quelques acteurs opèrent comme la peinture, ils nous traversent et retournent nos pauvres certitudes. Cette alchimie ne prends, que, pense-t-il, lorsque texte il y a, faute de mots et de phrases à la hauteur de cette aventure du corps, ce ne sont que gesticulations.
Il y a quelques été de cela Valérie Dréville montrait ici le langage ardent de Paul Claudel, et son effervescence furieuse, bouffées de mots, bouffées de couleurs, comme chez Manet ?





" Je ne suis pas spécialement nostalgique de telle ou telle époque de ma vie. Les décors n'ont guère changé, j'ai beaucoup plus de joie que de mélancolie à retourner dans certains endroits - ou bien c'est que la mélancolie s'y était confondues dès le premier jour. Il me semble qu'enfant je n'étais ni plus ni moins joyeux qu'aujourd'hui, c'est-à-dire ni plus ni moins mélancolique. Nostalgique, éventuellement, mais de ce que je ne savais pas encore, de ce que je n'étais pas encore ce que je serais, que je ne saurais peut-être jamais. Si j'ai eu peur de vieillir, c'était parce que j'avais peur de ne pas vieillir de la façon que je voulais. " (3)

Frédéric Berthet plus que jamais là, note-t-il, son écriture, sa vie, son art, continuent à nous traverser, comme nous traverse la nostalgie du futur, la seule qui nous saisit, nous trouble, et nous pousse à nous glisser dans le costume du mort en sursis que nous sommes, si un temps il avait glissé de notre peau.
Grande différence avec de nombreux écrivains d'aujourd'hui, Frédéric Berthet ne sera jamais un personnage, mais un écrivain libre qui a su ce que c'était qu'une liberté libre, qu'il l'a appliquée mot à mot à sa littérature et sa vie.

Arnaud Le Guern sur braconnages.com en parle avec talent.

Seule obligation morale, ajoute-t-il, se vêtir comme l'on écrit, la langue élégante qui se conjugue à l'élégance invisible du lin, ne jamais regretter ses échecs et ses faillites, et rire de ses victoires.

Et les femmes, me demande-t-elle ?
Leur présence : une guerre dont nous avons beaucoup de mal à nous passer, à la seule condition d'ouvrir plusieurs fronts en même temps. Tout le reste n'est que frilosité chichiteuse !




à suivre

Philippe Chauché


(1) La Révolution Manet / Philippe Sollers / Entretien avec Patrick Amine / L'Infini 114 / Printemps 2011 / Gallimard
(2) Lumières du corps / Valère Novarina / P.O.L. / 2006
(3) Journal de Trêve / Frédéric Berthet / L'Infini / Gallimard / 2006

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