jeudi 21 avril 2011

Visages du Roman (24)



" Autrefois il fallait, afin de voir le tableau, écarter un rideau ou faire glisser un autre tableau qui servait de cache à celui-ci. " (1)

Aujourd'hui, pense-t-il, le tableau est là devant moi, il faut afin de le voir, faire glisser ces tableaux qui depuis des années encombrent le regard et brouillent l'écoute, et alors, miracle, la peinture vivante est là et bien là, tout un roman sur le motif.

" Mais pourquoi a-t-il été besoin de voiles ou de caches, si ce n'est pour retarder la mise à nu de l'image ? Et pourquoi l'aurait-on retardée, si ce n'est pour maintenir en suspens le désir ? Le dévoilement est un rite qui appelle le respect. L'image que le rite dévoile est une image sainte. " (1)


Une image sainte
, pour parler d'une toile que le rite dévoile ?
C'est une question plus que jamais d'actualité, note-t-il, une question qu'il faut se poser et poser à l'art d'hier et d'aujourd'hui, comme l'on dit, la seule, ajoute-t-il, qui tienne et qui fasse rire ou trembler, c'est selon, sauf qu'ils sont des centaines à ne s'intéresser qu'au voile qui ne dévoile rien, sauf le vide sidéral de ce qu'ils appellent leur art.

Les plus grands peintres n'ont jamais craint de peindre une image sainte, sous le rite de leur art.




" Vous trouvez ça beau ? Eh oui c'est beau, et plus beau que vous ne le croyez ! " Voir à nu un sexe de femme, ça les a émoustillés, les invités de l'Excellence, ils en rien sous cape, et bien lui, en leur parlant de Titien et de Véronèse, il leur donne une leçon :
" Jamais un peintre n'a rien fait de plus beau ! "
C'est sa façon à lui de dire à ce beau monde : " Bougres de cons, vous prenez ça pour de la gaudriole, sachez que c'est de la peinture ! " (1)


Beau ! Qui ose encore aujourd'hui employer ce mot à propos de l'art ? Qui s'y risque ?

Une image sainte, un corps et son peintre, un peintre au centre d'un corps dans la transcendance de son mouvement intérieur, tout l'art de Courbet explose devant mes yeux, pense-t-il, vous cherchiez du sexe, voici de l'art pur, et il n'est pas étonnant que ce tableau ait mis le feu à l'histoire et à l'Europe, échappant par les hasards des rencontres aux flammes de l'enfer, avant de se reposer un temps sous le regard d'un psychanaliste à petit cigare torsadé.

" Ce qu'il faut retenir de l'exposition Courbet de 1882 :
- 1) Que l'histoire de l'art est une Divine Comédie. Il y a d'abord le Paradis. Car le Paradis est obligatoire : s'il n'y avait pas de Paradis, Courbet n'aurait pas eu droit à une rétrospective. Il y a le Purgatoire : Castagnary n'a pas cru immoral d'exposer Vénus et Psyché que le jury du Salon, moins de vingt ans plus tôt, avait rejeté pour inconvenance. Et il y a l'Enfer, Paresse et Luxure, non, il ne pouvait être question de montrer ça.
- 2) Qu'un tableau peut en cacher un autre, et puis encore un autre. Derrière Paresse et Luxure il y aurait ( peut-être ) un paysage de neige derrière lequel il y aurait l'Origine du Monde.
- 3) Que l'Enfer est à double fond. Ce qu'on ne voit pas peut cacher autre chose qu'on ne voit pas, une chose dont il est même interdit de dire qu'on ne la voit pas.
- 4) Que sous ce qui existe il y a ce qui n'a aucun droit d'exister et qui, malgré tout, existe. " (1)

L'Origine : vérification que seule la liberté libre de la peinture s'impose, plus tard Picasso ne dira pas autre chose avec ses Mousquetaires, et la liberté libre va bien au delà de ce que l'on appelle la liberté - de chosir, de vivre, de dire etc. - elle transcende l'idée. Outils de la transcendence : des couleurs et des pinceaux, un modèle soyeux, un peintre joyeux et deux ou trois amateurs.




à suivre

Philippe Chauché

(1) Le roman de l'Origine / Bernard Teyssèdre / L'Infini / Gallimard / 2007

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