mardi 11 août 2009

La Courbe du Temps (25)

" Si celui qui doit vous peindre doit vous voir,
Et ne peut sans s'aveugler vous regarder,
Qui sera assez puissant pour votre portrait faire
Sans vous ni ses yeux blesser ?

En neige et roses j'ai voulu vous fleurir ;
Mais c'eût été honorer les roses et vous outrager ;
Deux étoiles pour les yeux j'ai voulu vous donner ;
Mais quand jamais les étoiles en ont-elles rêvé ?

J'ai connu l'impossible dans cette esquisse ;
Mais votre miroir à votre propre éclat
Assura le succès dans son reflet.

Il pourra vous représenter sans lumière fausse,
Puisque vous êtes de vous-même, dans le miroir,
Original, peintre, pinceau et copie. " (1)

Le livre s'est ouvert comme une rose au matin, il l'a posé sur son coeur, et s'est endormi. La nuit fraîche l'a réveillé, alors il est sorti dans le jardin, a marché dans la rosée de la nuit, les yeux accrochés au scintillement des étoiles filantes. Un chat sommeillait sous l'arbre centenaire. Plus loin, il a fait se lever trois merles qui d'un battement d'ailes ont traversé l'espace qui le séparait de la grande maison blanche et rouge où il avait un temps vécu. Il s'est allongé dans l'herbe et a fermé les yeux. Le livre résonnait dans chacun de ses muscles. Il s'est dit, il en va de même des corps, ils doivent comme les livres, résonner dans chacun de nos muscles. Il s'est dit aussi, le livre s'ouvre sous mes yeux tournés vers la lune, sans que j'ai besoin d'y toucher, les pages s'élevent et se rabattent, comme entraînées par le Vent du Sud, alors il a pensé, que les corps pour répondre au mieux à la Courbe du Temps, doivent eux aussi, tourner et se retourner comme emportés par le vent du large. Le garamond de douze romain et italique cachait désormais les étoiles, tout le ciel en était imprimé, il s'est dit, que le corps amoureux, doit-être ainsi projeté dans l'espace, dans toute son étendue, magnifié, éternel. Il a alors pensé, c'est sûrement ce que l'on appelait il y a longtemps, la "révélation". Il s'est alors levé, léger comme jamais, il a embrassé les étoiles, qui a leur tour lisaient le livre, la lune, les merles, le chat, et la danseuse rouge des bords du fleuve et sous les arbres. Il a pensé, qu'à cet instant, il venait de rendre, par sa seule présence, la nuit miraculeuse, Il a retrouvé son lit, et s'est endormi, bercé par la musique des déesses qui ne le quittaient plus.

" Qui une fois, Lisi, a su vous regarder
Et qui est parvenu à vous connaître,
Mérite de pouvoir vivre sans vous voir,
Et de ne pas mourir s'il a su vous aimer.

Il n'a pas su vous voir, ni ne saura vous estimer
Qui davantage désire voir ces étoiles ;
Et qui vous vit une fois, ose vous offenser
S'il essaye encore de vous contempler.

Ces feux d'amour, riches et avares,
Ou bien ceux du ciel n'en sont que des flammèches,
De moindre ardeur, même si moins rares,

Ou Nature réunit dans nos yeux
Les étoiles, ou vos lumières claires elle répandit
Dans le ciel pour les créer. " (2)

A matin, les phrases du livres tournaient toutes seules sous ses yeux. Les déesses l'observaient avec cette douceur qui lui était inconnue. Il a retrouvé le jardin, l'herbe, le chat, les merles, et la lune qui poursuivait sa lecture dans l'ombre du soleil levant, il s'est dit, la journée sera éternelle.

à suivre

Philippe Chauché





(1) Francisco de Quevedo / Sonnets amoureux / De la difficulté de faire le portrait d'une grande beauté, qui le lui avait demandé, et seul moyen possible d'y parvenir / traduct. Frédéric Magne / La Délirante
(2) Francisco de Quevedo / Sonnets amoureux / Amour d'un seul regard s'allume et alimente sa flamme / d°

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