dimanche 10 avril 2011

Visages du Roman (18)



" Le fait est qu'alors, si j'ai commencé à connaître physiquement les peintres, les plus grands peintres de l'époque, Picasso, Braque, Fautrier, Dubuffet, eh bien, cela s'est produit à cause du Parti pris des choses. Le Parti pris des choses avait été, m'a-t-on dit, et j'ai pu le vérifier aimé par ces peintres. On m'a beaucoup dit que ces textes étaient soumis (je crois que cela se trouve déjà dans l'essai de Sartre sur moi) à la vision, c'est-à-dire que la bougie, la cigarettes, l'huître, etc., comme je les traite, auraient pu être au bien des tableaux que des textes. " (1)

Voir pour être vu par ceux qui savent bien voir, c'est ce qu'il écrit. Bien voir pour bien écrire, c'est aussi bien peindre ce que l'on voit ou ce que l'on a vu - c'est la même chose - comme si l'on écrivait et inversement.

" La nuit parfois ravive une plante singulière dont la lueur décompose les chambres meublées en massifs d'ombres. " (2)

La vision est d'abord une affaire d'oeil et d'oreille, la main vient ensuite. J'entends, ajoute-t-il, la musique des choses, je saisis ce qu'elles cachent et montrent à la fois, voir simplement les choses en les traversant, voir aussi ce qu'elles font voir des autres choses qui les entourent - la grande affaire des peintres et des écrivains.

" Comme dans l'éponge il y a dans l'orange une aspiration à reprendre contenance après avoir subi l'épreuve de l'expression. Mais où l'éponge réussit toujours, l'orange jamais : car ses cellules ont éclaté, ses tissus se sont déchirés. Tandis que l'écorce seule se rétablit mollement dans sa forme grâce à son élasticité, un liquide d'ambre s'est répandu, accompagné de rafraîchissement, de parfum suave, certes, - mais souvent aussi de la conscience amère d'une expulsion prématurée de pépins. " (3)

Le mouvement des choses devient le mouvement de la phrase et du pinceau, c'est ce mouvement qui chasse toute psychologie bavarde.




" Inquiétude de l'eau : sensible au moindre changement de la déclivité. Sautant les escaliers les deux pieds à la fois. Joueuse, puérile d'obéissance, revenant tout de suite lorsqu'on la rappelle en changeant la pente de côté-ci. " (4)

Francis Ponge, Pablo Picasso, mêmes manières de saisir le réel des choses, ce réel intense, matière dans la matière, l'autre nom de la littérature et de la peinture. Il faut pour s'en convaincre suivre au jour le jour la naissance d'un tableau et d'un roman - même stratification secrète - mais à la seule condition d'être sur et dans le motif, ce qui est le contraire du décoratif, du chichi, et du vulgaire dominant.
La phrase est une eau et un galet, elle coule et s'écoule, roule, s'immobilise puis repart comme un torrent vers sa destinée - l'océan, le point final.



à suivre

Philippe Chauché



(1) Entretiens de Francis Ponge avec Philippe Sollers / Gallimard - Seuil / 2001
(2) La Bougie / Le Parti pris des choses / Francis Ponge / Tome Premier / Gallimard / 1965
(3) L'Orange / Le Parti pris des choses / d°
(4) De l'Eau / Le Parti pris des choses/ d°

1 commentaire:

  1. Je suis plutôt en accord avec ces points de vues ; c'est l'émotion je pense qui est le point de départ du mouvement... belle soirée à vous.

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