dimanche 30 mars 2008

Changement d'Heure


" Il fait partie des gens qui ne parlent pas directement. Il y avait un jeu d'échecs immédiat dans la conversation. C'était une conversation entre systèmes logiques, et ça c'est amusant. Lacan était tout sauf un progressiste et un humaniste. C'est quelqu'un qui pensait que l'être humain a vraiment de très très mauvaises intentions. Il pensait donc des choses extrêmement raides à ce sujet. Un pessimisme transformé malgré tout en gai savoir. C'est étonnant : comment peut-on avoir à la fois un pessimisme aussi profond, aussi radical, et le prendre un peu à la rigolade quand même. Parce qu'il était rigolo.
Par exemple ?
C'était dans l'attitude, et il a des jeux de mots de Lacan : " les petits souliers " pour parler des analystes, enfin des choses comme ça. Ce sont des choses drôles. Le Panthéon qu'il désignait : il levait le bras et il disait : " le vide-poche d'en face ". C'est assez joli, c'est drôle. Les cercueils qui sont là, " c'est un vide-poche"... Ou alors alors, le fait de publier, avec un jeu de mot sur la " poubellication ". Voilà, c'est assez beau ... " (1)

" J'ai des doutes sur le changement d'heure en été
J'ai des doutes sur qui coule les bateaux,
qui jette les pavés
Des réserves quant à la question d'angle
pour le canapé

J'ai des doutes sur la notion de longétivité
Sur la remise à flot de la crème renversée

J'ai des doutes
Est-ce que vous en avez ? " (2)

Instantané de gris, le ciel se transforme, les feuilles tanguent, les branches des platanes doutent de l'existence du printemps, les femmes traversent la place sans y penser, le gris, le noir, tout pousse à croire que le monde tremble, le ciel s'est mis en deuil, éphémère doute.
Tout tourne sans s'arrêter, tout se renverse, il sait tout cela lorsqu'il aborde cet espace de temps de sa ville, il chante en silence, installe Mozart dans ses yeux, à bien y regarder on verrait qu'il est heureux.
Il se propulse dans les vagues bleues de ses yeux, et le ciel s'illumine, à bien y regarder on verrait sa joie.

" Être artiste : savoir polir les surfaces rugueuses de la réalité jusqu'à ce qu'elles reflètent l'infini, à l'empyrée jusqu'aux profondeurs de l'enfer. " (3)

Il a changé, le monde doit le savoir, il s'élève et s'allonge dans ses mouvements, il a changé, rien ne l'y obligeait, les femmes, elles le savent, et elles s'en méfient. Il flotte, ses bras sont autant de voiles bleues dans la baie de ce port, dont il a oublié le nom, finalement de tous les ports du monde où souffle le vent de la vie, et où les naufrageurs que la mort rétribue s'effondrent devant son visage. Il l'embrasse, et le sable de ses lèvres illumine sa chevelure.

" Nous étions devenus si amoureux, et si tranquilles dans nos jouissances qu'il eût été impossible que nous nous fussions séparés de bon grès sans un évènement qui eut la force de soumettre notre passion réciproque à la belle lumière de notre raison. " (4)

Il s'avance masqué, drapé de mots, de parfums bleus, de musiques, et elle sourit. Il s'est assis à même le sol sur ce tapis de sable, il déroule son roman vrai, elle écoute, les bras repliés sur ses souvenirs, alors il l'embrasse dans le silence des plafonds peints, et le ciel découvre son visage, la peau s'élève, le sang rythme ses phrases, les mots s'oublient, et le silence l'enivre.

Que mille grains de sable glissent entre tes doigts.

à suivre

Philippe Chauché
(1) Philippe Sollers / Lacan Même / Navarin Editeur / et sur Pileface.com
(2) Le secret des banquises / Gaëtan Roussel - Alain Bashung / in Alain Bashung - Bleu Pétrole / Barclay 2008
(3) Arthur Schnitzler / La Transparence impossible / trad. Pierre Deshusses / Rivages poche
(4) Casanova / Histoire de ma vie / Bouquins / Robert Laffont / 1993

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