" Qui m'a vu pendant cet automne au cours des soixante-dix jours où je n'ai fait, sans interruption, que des choses de premier plan, des choses que personne ne saurait imiter, sur lesquelles personne ne pourrait m'en rendre, qui m'a vu à ce moment-là, chargé de la responsabilité de tous les siècles à venir, n'a pas pu surprendre en moi la moindre trace de tension : tout au contraire, il a dû constater une fraîcheur d'esprit, une gaieté débordantes. Jamais je n'ai mieux mangé, jamais je n'ai mieux dormi. - Je ne sais d'autre méthode que le jeu pour m'occuper des grands problèmes : c'est un des signes essentiels auxquels ont reconnaît la grandeur. " (1)
" En septembre 1888, dernier mois et dernière année du faux calendrier, M.N. habite à Turin au 6, via Carlo Alberto, au troisième étage, en face du puissant palazzo Carignano, avec vue sur la piazza Carlo Alberto et, au-delà, sur un paysage de collines.
Il parle d'une " grande victoire ", car il vient d'achever son Inversion des valeurs (inversion d'une inversion), et dit se trouver comme au " septième jour, avec le loisir d'un dieu désoeuvré le long du Pô ".
" Jamais je n'avais vécu pareil automne, ni cru qu'une chose senblabe fût possible sur terre, chaque jour de la même irrépressible perfection. "
Il sort avec, dans sa poche, les poèmes de Sappho, un petit Héraclite qui ne le quitte jamais, et les Bacchantes d'Euripide. Du grec, toujours du grec, du fleuve grec, du soleil grec. Il connaît la plupart des fragments par coeur, mais le papier imprimé le rassure. Les dieux sont là, sur la place, dans les rues, derrière les façades, dans les blancs entre les lignes, les passages manquants, les vers ou les sentences méconnues. C'est vraiment un automne grandiose, l'an 1 du Salut. Fin d'un temps. Fin d'une Histoire. Apocalypse, Réveil, Recommencement général. " (2)
Ils sont tous là, à mes côtés, dans ma rue, les yeux dans ceux des statues des vierges posées dans leurs niches claires, tous là à m'accompagner, F. plus lumineux que jamais, il porte bien ses 234 ans, S. léger, de plus en plus léger, de plus en plus immortel me souffle t-il, N. enfin libre, libre de toute contrainte et de toutes les attaques de ses maladifs admirateurs, H. en partance, une nouvelle fois pour Venise, vers de nouvelles raisons déraisonnables, P. qui lui revient du Paradis, court séjour, il redescent un temps au Purgatoire, pour y retrouver quelques amies, le M. que l'on vient de libérer, enfin c'est ce qu'ils affirment, ils oublient que je n'ai pas une seconde était enfermé, question essentiellement romanesque, R. qui danse dans la rue, qui vole comme dans les romans de Y., nous allons ainsi, inventer ce monde là, le siècle doit s'attendre à des bouleversements, un seisme de l'intérieur, un tremblement de veine et de peau. Les vierges qui nous regardent approuvent de l'auréole. C'est le printemps et nous renversons le temps !
Que mille romans fleurissent tes gestes.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Friedrich Nietzsche / Ecce Homo / trad Alexandre Vialatte / 10/18
(2) Philippe Sollers / Une Vie Divine / Gallimard
samedi 15 mars 2008
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