" La journée commençait dans un enchantement. J'éprouvai la fraîcheur du matin, en plein soleil. Mais j'avais mauvaise bouche, je n'en pouvais plus. Je n'avais nul souci de réponse, mais je me demandais pourquoi ce flot de soleil, ce flot d'air et ce flot de vie m'avaient jeté sur la Rambla. J'étais étranger à tout, et, définitivement, j'étais flétri. Je pensai aux bulles de sang qui se forment à l'issue d'un trou ouvert par un boucher dans la gorge d'un cochon. J'avais un souci immédiat : avaler ce qui mettrait fin à mon écoeurement physique, ensuite me raser, me laver, enfin descendre dans la rue, boire du vin frais et marcher dans les rues ensoleillées. J'avalai un verre de café au lait. Je n'eus pas le courage de rentrer. Je me fis raser par un coiffeur. Je m'exprimai par signes. En sortant des mains du coiffeur, je repris goût à l'existence. Je rentrai me laver les dents le plus vite possible. Je voulais me baigner à Badalona. Je pris la voiture : j'arrivai vers neuf heures à Badalona. La plage était déserte. Je me déshabillai dans la voiture et je ne m'étendis pas sur le sable : j'entrai en courant dans la mer. Je cessai de nager et je regardai le ciel bleu. Dans la direction du nord-est : du côté où l'avion de Dorothea apparaîtrait. Debout, j'avais de l'eau jusqu'à l'estomac. Je voyais mes jambes jaunâtres dans l'eau, les deux pieds dans le sable, le tronc, les bras et la tête au-dessus de l'eau. J'avais la curiosité ironique de me voir, de voir ce qu'était, à la surface de la terre (ou de la mer), ce personnage à peu près nu, attendant qu'après quelques heures l'avion sortît du fond du ciel. Je recommençai à nager. Le ciel était immense, il était pur, et j'aurais voulu rire dans l'eau. " (1)
Je traverse l'espace bleu qui me sépare d'elle. Je suis en forêt, sous les arbres, près du fleuve, la douleur s'est calmée, je n'en demandais finalement pas moins, qu'elle s'éloigne, qu'elle m'oublie et se mette à couler tel un corps mort dans les eaux grises du fleuve. Mon coeur n'en revient pas, lui tellement sollicité, et aujourd'hui placé sous contrôles, écrans, diodes, voyants lumineux, alarmes, impression immédiate de l'état des lieux, point d'effort, le silence médical, palpations, palpitations sous les doigts, l'aiguille glisse sur la peau, perfusion bleue, puis c'est l'envolée, la tête dans les plus hautes branches des arbres. Je m'aventure maintenant sur la berge du fleuve, seul, les yeux fermés, j'avance sans savoir, je marche sans connaître, le bleu du ciel griffe ma mémoire, je traverse cet espace imaginaire qui me sépare de ses yeux. Le coeur est oublié, les doigts ne fourmillent plus de ces piqûres de fourmis, les jambes se sont allégées, les bras sont libres, les yeux toujours fermés, le pouls accordé aux remous du fleuve, un oiseau à cet instant s'est posé sur mon épaule, oiseau du paradis aux yeux verts.
Le bleu du ciel résonne dans la musique de Mozart : Milan, mars 1987, Carlo Maria Giulini dirige l'orchestre del Teatro alla Scala, au piano Vladimir Horowitz : concerto pour piano et orchestre n° 23 en la majeur K. 488, Sonate en si bémol majeur K. 333. Il suffit d'écouter. Mozart s'accorde au bleu du ciel, et la rumeur de la rue ne sait rien de ce qui se joue dans le ciel, derrière les murs blancs. Allégresse, légèreté, éclats de grâce, force du mouvement, éclairs des cordes, tout bouge, tout s'élève dans le temps béni. C'est l'évidence de l'être. (2)
Que mille pinceaux dessinent le bleu de tes yeux.
à suivre
Philippe Chauché
(1) le bleu du ciel / Georges Bataille / Jean-Jacques Pauvert, Editeur / 1966
(2) Horowitz Plays Mozart / Carlo Mario Giulini / Orchestra del Teatro alla Scala / DG 1987
samedi 29 mars 2008
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