" On commençait à se défier des mots, on venait tout à coup de s'apercevoir qu'ils demandaient à être traités autrement que ces petits auxiliaires pour lesquels on les avait toujours pris ; certains pensaient qu'à force de servir ils s'étaient beaucoup affinés, d'autres que, par essence, ils pouvaient légitimement aspirer à une condition autre que la leur, bref, il était question de les affranchir. A l'"alchimie du verbe" avait succédé une véritable chimie qui tout d'abord s'était employée à dégager les propriétés de ces mots dont une seule, le sens, spécifié par le dictionnaire. Il s'agissait : 1° de considérer le mot en soi ; 2° d'étudier d'aussi près que possible les réactions des mots les uns sur les autres. Ce n'est qu'à ce prix qu'on pouvait espérer rendre au langage sa destination pleine, ce qui, pour quelques uns dont j'étais, devais faire faire un grand pas à la connaissance, exalter d'autant la vie. " (1)
Les mots frappés de cécité retrouvent la vue, les mots oubliés, censurés, criblés de balles renaissent, les mots déboussolés, désorientés, déboulonnés retombent sur leurs pieds et se mettent à faire la roue dans la rue de la Sorgue, les mots soldés et prostitués sur les murs blancs de la ville se transforment en roses noires, les mots asexués se redressent dans leur divine passion de la vie, les mots crissent sous la dent, et glissent sous mes doigts électrifiés par les rayons de lune.
Que mille mots d'ambre s'aventurent dans ton regard.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Les mots sans rides (extrait) / André Breton / Les Pas Perdus / L'Imaginaire / Gallimard / 1990
vendredi 18 avril 2008
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