" Une année, encore une année dont le printemps s'écoule ;
En cent années à peine se voit-il un homme de cent ans.
Combien de fois nous sera-t-il donné, comme aujourd'hui,
Combien de fois nous sera-t-il donné, comme aujourd'hui,
de nous enivrer au milieu des fleurs ?
Ce vin coûterait son pesant d'or qu'il ne faudrait pas regretter le prix. " (1)
"Elle ignorait qu'il fallait pour conquérir le monde user de masques et ruses, elle ignorait qu'en amour il en était de même, qu'il fallait transformer sa chambre en théâtre, la comédie des situations devenait celle des corps, tout n'était que théâtre, et c'est bien là, que se révélaient toutes ses capacités dans l'art de donner la réplique, le corps du texte n'était autre que celui des situations. Avancer masqué, était un art bien plus délicat que celui que l'on voulait bien présenter, comme le fruit de fidélités et de vérités communes, elle ignorait que tout cela demandait un art accompli du déplacement et du dépassement, la seule vérité qui valait, c'était son absence. Et dans cette absence on pouvait percevoir un art poétique rare. " (2)
Le temps d'une traversée nocturne et poétique, accordé aux éclats de la lune, la ville offre un autre visage, d'autres courbes, les rues silencieuses et studieuses s'étonnent du silence de ma démarche feutrée, les vierges suspendues arrosent d'éclats de rose ma peau dorée, mes bras battent une mesure silencieuse et secrète, tout mon corps vérifie la géométrie cachée de la ville. Le temps s'accorde à mon regard et chacune de mes pensées vérifie mon accord parfait au présent absolu. Le temps d'une traversée nocturne, j'accroche au revers de ma veste un bouquet de violettes, mon sourire donne toute la mesure du bonheur et enivre les porches sombres, les arches aux stupides graffitis, les chats vagabonds, les égarés aux pensées boiteuses, quelques fées dont les ombres s'allongent sous mes doigts d'alchimiste improvisateur. J'improvise ainsi ma vie, fidèle aux musiques des déesses sereines et délicieuses. Puis vient le jour, et la lumière de Dante poursuit son travail de vie, je laisse le travail de mort aux marchands d'illusions et aux censeurs bavards, j'embrasse du regard, du geste, des lèvres, des paumes des mains, ces élancées vagabondes que je croise sur les places de la ville, j'y célèbre la joie vive et voluptueuse, corps qui dansent dans le temps adoré.
" La théorie sensualiste constitue naturellement une avant-garde parce qu'elle traduit et célèbre le déploiement du vivant après cette traversée du désert, de l'enfer, que représente la plongée dans ce que les uns appellent la pulsion de mort et les autres la violence ontologique de l'homme, que l'humanité débarrassée de ses carcans est en train pour le meilleur et pour le pire d'expérimenter, et qui n'est en fait que le résultat global des souffrances et des violences subies par les individus ( et aussi celles faites aux groupes humains ) dans leur développement poétique, sentimental, voluptueux contrarié. Ce qui se conçoit bien dans cette préhistoire patriarcale, esclavagiste et marchande dont nous sommes loin d'être sortis. " (3)
" Je la suis en pensée sur les places et dans les ruelles, sur les ponts et au bord de l'eau, le cliché est juste, la cité idéale a été conçue et construite au moins un fois. Comment retourner la honte de la viande humaine, comment assurer une dictature de l'esprit dans une république des corps ? Solution esthétique et mathématique. Compartimentation, écoulement, zones étanches, angles, invisibilités, profils, retenues, bassins, ouvertures sur ouvertures, passages couverts, coupures, coins, suspensions, reflets. On peut rêver là d'une population éveillée poursuivant ses calculs, société de Chinois discrets. Pas de bruit, sauf les sirènes des bateaux, les cloches, ou bien, parfois, multipliant les creux, des coups de marteau contre les coques, on répare pour naviguer, chaque percussion est encourageante, favorable, commerce, glissement, silence, évaporation d'atomes, temps lent, rapide, aéré. " (4)
Rien ne m'est plus favorable que l'ombre du Palais des Papes, rien ne m'encourage plus que les italiens majestueux du Petit Palais, rien n'est plus doux que ton regard égaré Place Pie, nous sommes sous la protection des dieux, des déesses et des fées. Nos absences partagées sont incompréhensibles, nos distances distinguées paraissent autant de diamants en devenir. Nous voyageons dans un espace infini. Et parfois, un martinet nous invite à un dialogue coloré.
" Effleurant les feuilles,
Une fleur blanche est tombée
Dans l'obscurité ."
Bascho
Que mille effleurements dissipent les orages.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Tsoui-min-tong / Poésies de l'époque des Thang / traduct. du Marquis d'Hervey-Saint-Denys / Editions Ivrea
(2) Message anonyme reçu une nuit de pluie d'avril 2008.
(3) R.C. Vaudey / Manifeste sensualiste / L'Infini / Gallimard
(4) Philippe Sollers / La Fête à Venise / Gallimard
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