samedi 19 avril 2008

André Breton l'Admirable (2)

" La journée sera belle, je la vois filtrer dans tes yeux où elle a commencé, plus trouble, par être si belle. Ils sont de cette eau même, aux point où elle glisse au soleil sur les silex bleus et l'arc qui de très haut les surplombe est du plus délié, du plus sensible pinceau de la martre, non des reflets qu'il peu ravir, mais le frémissement de ce pinceau distrait seulement par la pensée du pelage de la gracieuse bête en alerte. De tels coups de feu floconnent encore dans le lointain ! " (1)
Rien ne pouvait advenir, je me laissais porter jusqu'à la jetée, là face à la mer désenchantée, j'épousais du regard l'espace des mouettes et des poissons lune, et dessinais d'un geste invisible la courbe de tes divagations.
" Voici à la légèreté de ton pied le parapet si peu assuré qu'on doit le maintenir la nuit de lourdes pierres, ce qui n'empêche pas quand bon lui semble la tempête de le traiter en jouet de paille, voici le sable fin constellé d'ombelles par le pas des oiseaux. (2)
La transformation de l'espace dépendait du mouvement souterrain des rivières oubliées, parfois lorsque le brouillard avait la densité de la musique de Sofia Gubaidulina, des sirènes glissaient entre les pavés d'algues noires et arrêtaient le temps.
" A la pointe de la découverte, de l'instant où pour les premiers navigateurs une nouvelle terre fut en vue à celui où ils mirent le pied sur la côte, de l'instant où tel savant put se convaincre qu'il venait d'être témoin d'un phénomène jusqu'à lui inconnu à celui où il commença à mesurer la portée de son observation - tout sentiment de durée aboli dans l'enivrement de la chance - un très fin pinceau de feu dégage ou parfait comme rien autre le sens de la vie. " (3)
Tout ce qu'il écrivait, semblait frappé d'une étrange maladie, sorte de mildiou, qui contaminait sa phrase et la rendait sèche et stérile, les feuilles qu'il avait noirci avait viré au vert pâle, certaines tombaient déjà en poussière, ses mains mêmes semblaient trembler de ce mal inconnu. Il me confia cette mésaventure et me demanda quelques conseils, que je ne manquais pas de lui offrir : c'est simple, ce que tu écris doit se transformer en or du temps, mais pour cela oublie ce qu'ils attendent de toi, ne mise que sur ta propre pulsation, ton sang, ta peau, ton geste, si la maladie a gagné tes phrases, c'est qu'elles les portaient en germe, jette aux orties les attributs malheureux dont tu habilles ta prose, et n'offre au temps que le bonheur d'écrire dans la joie, tout un art à découvrir à chaque instant.
Que mille pinceaux se lèvent pour toi
à suivre
Philippe Chauché
(1) André Breton / Arcane 17/ Jean-Jacques Pauvert Editeur /

(2) d°

(3) André Breton / L'amour fou / Editions Gallimard / 1937

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